Jean Raspail a franchi à
maintes reprises la frontière qui sépare la géographie terrestre des
territoires du rêve. De Septentrion à Qui se souvient des
hommes, il a parcouru cette frange à peine accessible de notre
géographie physique. Mais jamais il n'était allé aussi loin, aux limites
cette fois des territoires du rêve eux-mêmes, franchissant une ultime
frontière, à peine visible, au-delà que laquelle il y a la mort, la mort
du dernier rêve avec la mort de l'improbable dernière créature qui le
peuplait. Pourtant, cette mort apparaît aussi, aux dernières pages de
l'ouvrage, comme "la nuit inconsciente et douce", qui est le seuil d'une
autre géographie : hyperboréenne. Mais c'est une autre histoire. Les Royaumes de
Borée résonnent comme un adieu. L'adieu du rêve à la vie.
"Imaginez
une frontière aux confins septentrionaux de l'Europe. Elle court au nord
et à l'est sur quelque quatre cent soixante-dix lieues, traverse
d'interminables forêts, des plaines spongieuses semée de lacs couleur de
plomb. Elle enjambe des marécages et des rivières torrentueuses roulant
vers des destinations incertaine. Au-delà s'étend la Borée, une contrée
dont on ne sait rien sinon qu'elle est le royaume d'un petit homme
couleur d'écorce qui manie l'arc et le javelot mais que nul n'a jamais
approché. Qui est-il? Quel est son nom? Quelle est sa destinée sur cette
terre?
Au
héros de cette histoire, il aura fallu, du XVIIe à nos jours, plus de
trois siècles d'aventures, de poursuites et de rêves, pour atteindre les
mystérieuses réponses à ces questions qui ne l'étaient pas moins. Leur
quête a été la mienne. Elle a donné un sens à nos vies, mais c'est du
petit bonhomme au javelot, survivant d'un monde révolu, que surgira
l'ultime lumière, juste avant qu'elle ne s'éteigne."
Jean Raspail

"C'était un petit homme mince et brun, aux
paupières bridées, laissant à peine filtrer le regard, vêtu et chaussé
de peaux, coiffé d'un bonnet de fourrure pointu aux revers rabattus
jusqu'au menton, un arc passé autour de son corps et un carquois ficelé
à son dos, et qui se penchait vers lui en prononçant quelques mots dans
une langue incompréhensible qui ne rappelait rien de connu. Alors
l'officier s'éveilla et se demanda s'il avait rêvé..." |