 Wilfred Thesiger, dans le Désert des
déserts
« Nous étions quatre à avancer depuis un mois avec des
ressources très modestes - peu d'eau et encore moins de nourriture. L'un
de nous a eu la chance de tuer un lièvre. Nous discutâmes longtemps de
la manière dont il fallait l'accommoder. Finalement, nous avons trouvé
un puits et nous l'avons préparé. Ce fut long et mon impatience allait
croissant. Soudain, au moment de s'attaquer au lièvre, nous avons vu
surgir quatre Bédouins. Nous les avons accueillis, nous leur avons
offert du café et des dattes. Et comme ils n'avaient pas mangé de viande
depuis plusieurs mois, le lièvre leur fut donné. Nous n'en avons pas
mangé un seul morceau. Pour mes compagnons, c'était normal puisque les
nouveaux arrivants étaient nos hôtes. »
Propos recueillis par Dominique de Roux, juin 2000
"Nul homme, après avoir connu
cette vie, ne peut demeurer le même. Il portera à
tout jamais, gravée en lui, l'empreinte du désert,
dont le nomade est marqué comme au fer rouge, et au
plus profond de ses désirs celui d'y retourner,
lancinant ou vague selon son tempérament. Car cette
terre cruelle est capable d'envoûter quiconque ose
s'y aventurer, bien plus profondément qu'aucune
autre région clémente de notre planète."
"Je suis allé en Arabie du Sud
juste avant qu'il ne soit trop tard. D'autres assurément s'y rendront
pour y étudier la géologie et l'archéologie, l'ornithologie, les plantes
ou les animaux, et éventuellement, les Arabes eux-mêmes. Mais en voiture
et avec la radio. Ils en rapporteront sans doute des renseignements plus
utiles que les miens, mais ils ne pourront plus saisir l'âme secrète de
ce pays. Si l'on souhaitait vivre aujourd'hui là-bas la même vie que la
mienne, ce ne serait pas possible, parce qu'entre-temps sont apparus les
techniciens, à la recherche de pétrole. Le désert que j'ai connu est
défiguré par les roues des camions et les déchets qu'y ont laissés
derrière eux les Européens et les Américains. Et cette profanation
matérielle n'est rien encore au regard de la démoralisation qui s'est
emparée des Bédouins eux-mêmes. Lorsque je vivais parmi eux, ils
n'avaient aucune idée de l'existence d'un monde autre que le leur. Non
qu'ils fussent d'ignorants sauvages : bien au contraire, mais,
descendants directs d'une très ancienne civilisation, ils trouvaient au
sein même de leurs traditions cette liberté individuelle et cette
discipline de soi qu'ils recherchaient passionnément. Maintenant, ils
sont peu à peu chassés du désert et poussés vers les villes où les
qualités qui faisaient jadis leur grandeur sont dévalorisées. Des
forces, aussi irrésistibles que les sécheresse qui causaient si souvent
leur mort autrefois, ont détruit l'équilibre de leur vie. Aujourd'hui ce
n'est pas la mort, mais la déchéance, qu'ils leur faut affronter."
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