Vous
vous souvenez de vos premiers pas?
Oui. Pour ce département
impressionniste et moderne, il y avait déjà un autre catalogueur. Qui
avait 21 ans. Qui avait démarré comme porteur. Et qui allait devenir
un jour, un écrivain connu du monde entier : Bruce Chatwin. C'était un
garçon très intelligent, curieux de tout. Il avait un œil
extraordinaire. mais il était très jaloux de ses prérogatives. Il ne
voulait rien m'apprendre. J'ai dû apprendre seul.
Il
y avait du tirage entre vous?
Au début, oui. J'étais là
depuis deux mois quand la collection de l'écrivain Somerset Maugham est
entrée chez Sotheby's, en janvier 1962. La pièce la plus connue était
La Mort d'Arlequin, de 1905, par Picasso. Je m'en souviens -
comme si c'était hier. J'avais rendez-vous un mercredi, à 9 h 30, avec
Bruce, et on devait la cataloguer ensemble. Je suis arrivé pile à
l'heure. Mais lui était là depuis 5 heures du matin. Et il avait
déjà tout catalogué. Je me suis dit : "Ah, d'accord...
C'est la bagarre." La collection importante qui a suivi fut celle
du cinéaste Alexander Korda. Très belle collection. Encore plus belle
que la précédente (...). Je ne sais plus trop exactement comment je
m'y suis pris, mais celle-là, c'est moi qui l'ai cataloguée seul. A
partir de là, Bruce a compris que j'avais de quoi lui tenir tête. Il
était subtil. Et on a alors commencé à travailler ensemble. Nous
n'avons jamais été réellement amis, mais nous avons formé une très,
très bonne équipe tous les deux. Il était homosexuel, fantaisiste -
et très copain avec certains collectionneurs anglais. Moi, j'étais
peut-être un plus académique, plus organisé, plus international - et,
à Paris, le nom des Strauss, qui était bien connu dans le monde des collectionneurs,
m'ouvrait des portes. Nous étions donc très complémentaires.

"C'est au début des années 1960, à 22 ans, que le
wanderboy commença à parcourir le monde (pays de l'Est, Afghanistan)
pour le compte de Sotheby's, une maison où il était entré comme
magasinier avant d'en devenir l'un des experts les plus talentueux -
grâce à son "œil" infaillible, surtout dans le domaine de la peinture
impressionniste" André Clavel, L'Express, 18 juillet 2005 |