"Réfraction sur réfraction
- Lumière sur lumière. Déjà commence le grand jeu de deux et de
l'un. Exil de soi et redécouverte de l'autre. Jeu de miroirs aussi
entre les civilisations, et d'un temps à un autre. "Le double exil
où le double se fond." C'est Catherine Pozzi qui parlait hier.
Elle reprenait la tradition de la Lyonnaise de jadis, Louise Labbé.
Mais ce dialogue renvoie à son tour, en esprit et en style, aux blasons
et motifs de l'amour courtois, ceux de langue d'oc et du "dolce
stil nuovo" comme ceux, à foison, des langues arabe, persane ou
turque, à Leïla et Madjnoun, à Youssouf et Zouleika, à l'amour fou
des Andalous et, plus loin encore, des Hezdjaziens, des Yéménites,
toujours plus loin aux grands thèmes hermétiques, platoniciens et plus
avant sans doute jusqu'aux mythes immémoriaux où l'Orient et
l'Occident s'abolissent." (Préface à L'orient dans un miroir,
Roland et Sabrina Michaud, Hachette, 1983)
*
"Jardins métaphysiques"
"Le plan symétrique est
donné par le chahr bagh, un mot persan qui signifie les
"quatre jardins". L'espace est réparti en quatre par l'eau
qui court, délimite, irrigue, clarifie et passe. Ce plan tracé par les
quatre fleuves de vie est celui même du paradis selon une tradition
continue. Dans le Paradis perdu, Milton reprend encore ce thème
des quatre fleuves, qu'il unit d'ailleurs à deux autres thèmes - l'eau
courante et ruisselante et la Montagne centrale :
"Une grande rivière passait
par l'Eden, roulant vers le Sud, / Sans dévier sa course, à travers la
colline ombreuse, / Elle passait, souterraine, car Dieu a jeté, / Cette
Montagne, comme un moule de Son Jardin élevé, / Sur les courants
rapides, qui passent parfois par des veines / De terre poreuse,
attirées vers le haut par la soif, / Formant une fontaine de
fraîcheur, et par de nombreux ruisselets, / Irriguant le Jardin; alors
les courants se réunissent et tombent, / En descendant la vallée
abrupte, / Et rencontrent les eaux inférieures, / Qui sourdent hors de
leurs sombres passages, / Et se divisent maintenant en quatre fleuves
principaux".
Tout est dit. Les thèmes majeurs
sont contenus. L'Occident a rencontré l'Orient dans les jardins
métaphysiques." (Cités d'Islam, Arthaud, 1987)
*
« L’Occident ne
devrait pas seulement demander à l’Occident des techniques ; de même,
d’ailleurs, l’Occident se trompe en n’attendant de l’Orient que des
philosophies. L’Orient peut enseigner que la pensée n’est pas seulement
créations d’idées, de formes et de valeurs mais créatrice d’être, et que
la réalité n’est pas seulement découverte ou conçue par l’intelligence,
mais qu’elle est témoignée par l’âme et manifestée par une certaine
stature de l’homme, un certain style de vie et dans les traits les plus
humbles. L’étude de la tradition orientale n’est à peu près rien si elle
n’est une expérience transformatrice de l’être, c’est-à-dire une
technique spirituelle. Inversement, je crois que le jour où la rupture
sera consommée sera celui où l’Orient n’attendra vraiment plus de
l’Europe que des tours de mains, du matériel et de l’appareillage. Ce
que nous avons surtout à prendre en Occident, ce n’est pas une technique
mais une certaine plénitude, une certaine densité individuelle, une
densité qui n’est pas matérialisme mais humanisme, une densité de
l’individu qui s’atteint par l’esprit, non par les industries.
Entre l’Islam et
l’Occident, il ne faut pas rechercher le compromis, mais, au contraire,
l’absolu. Car le propre du relatif (et qu’est-ce que le compromis si ce
n’est le relatif par excellence ?) est de diviser, et seul l’Absolu peut
unir. »
« La pensée islamique
en présence de l’Occident », 19 juillet 1958
*
Ce
qu'il disait de Louis Massignon
"Là
où Louis Massignon essayait de placer chacun de nous, c'était dans ce
point central, dans cette brûlure du cœur, dans cette expérience,
dans cette découverte, cette commotion qui se trouve au centre même de
l'expérience de chacun de nous, de l'expérience religieuse de chacun
de nous, à l'intérieur même de sa propre religion."

"La vie de Louis Massignon fut un échange
perpétuel entre le passé assumé comme un vœu, le présent vécu comme
action poétique, et l'au-delà conçu comme éternité, dans la justice."
Ce
qu'il disait de René Guénon
"Le
Coran prescrit au fidèle : "N'enfle pas la voix quand tu pries ; ne
réduis pas non plus ton souffle ; mais reste dans la moyenne, entre
deux." J'entends encore la voix égale de René Guénon citer la
phrase arabe. C'était au Caire et il s'agissait de l'appel à la
prière."
|