Les Cahiers du Moulin

bulletin de liaison édité par  « Les Amis d'Armel Guerne » asbl

Chaque semestre, des extraits des "Cahiers du Moulin" font l'objet d'une publication en ligne, avec l'aimable autorisation de l'association des "Amis d'Armel Guerne".

►octobre 2003

Sommaire

Novalis : Aperçus biographiques

A propos de Novalis, par Charles Le Brun et Jean Moncelon

Autour des Oeuvres complètes de Novalis, traduites par Armel Guerne

 

 

Retour à Armel Guerne - Novalis

 

 

Vu de la motte

Nous vivons depuis deux jours dans un temps furieusement tempétueux, avec des averses plaquées, cinglantes, aussi denses que des étangs. La table de pierre, devant le moulin, qui doit peser quelque soixante kilos, a été mise à terre cette nuit sous les boutées du vent. La toiture et les ailes grincent, craquent, gémissent et hurlent par moments comme les membrures de trois-mâts près de naufrager, courant à la cape devant la Terre de Feu.

      Je t’embrasse, au moment que nous profitons d’un coup de bleu et de soleil immense.

                        Armel

Armel Guerne, Lettre à un neveu, 18 décembre 1972

 

Spécial Novalis

"J'ai été mêlé à toutes les horreurs de l'Occupation, aux prisons, aux menaces de mort et, au fond, c'est Novalis qui m'a aidé à tenir le coup."

Armel Guerne

Éditorial

par Charles Le Brun

            Ces quelques hommes et femmes auxquels l’Histoire a donné le nom de Romantiques allemands, furent parmi les derniers à dénoncer l’imminence du drame que les années à venir allaient connaître.

             Dans le même temps que Novalis tentait de rassembler tout ce qui pourrait encore sauver les derniers vestiges de l’âme européenne, de l’autre côté de l’Atlantique, une race entière dont on avait volé la raison d’être en lui prenant sa terre disparaissait, anéantie, criant au ciel son désespoir et maudissant les artisans de son malheur. Les « Peaux-Rouges », car c’est d’eux qu’il s’agit, avaient dit par le truchement de leurs interprètes : « L’homme blanc détruit tout ce qu’il touche. » Chez eux, en effet, lorsqu’on les découvrit, rien n’existait qui fût profane quand chez nous – leurs « civilisateurs » – l’attention tout entière s’était déjà irréversiblement tournée vers cette philosophie du déshonneur qu’on allait habiller du nom d’utilitarisme et selon laquelle rien ne compte que le nombre, la quantité, la production et l’appropriation dans l’irrespect le plus total de la Nature et le mépris de ses lois – irréfragables jusqu’alors.

              L’assourdissant concert de notre équivoque progrès ne nous laissera plus bientôt la moindre place pour la plus élémentaire MAIS indispensable prière, avalés que nous sommes par la horde enragée des démons ricanants de la publicité, de l’insolence, de l’impudeur, de l’impiété ; expulsés de nous-mêmes par le bruit et l’image du tout-puissant écran et distraits, jusqu’au vertige, par sa logorrhée fallacieuse. 

   Alors, on peut se demander sans sourire : que restera-t-il de nous, dans quelques décennies, si la hâte se hâte encore à tout vider de ce qui fit le fondement de nos pays ? Qui osera se dresser contre ce monde désorbité, impaisible et cruel sous la grimace humanitaire ? Les Romantiques l’ont fait, tentant de réveiller l’univers des esprits pour que l’Esprit survive ; que le sacré habite encore le cœur et la parole et le geste de l’homme. Mais aujourd’hui, quelle heure est-il au cadran de nos destinées ? Et qui, dans les fracas dérisoires de « l’actualité » désormais souveraine, l’entendra sonner ?