Spécial Novalis "J'ai été mêlé à toutes les horreurs
de l'Occupation, aux prisons, aux menaces de mort et, au fond, c'est
Novalis qui m'a aidé à tenir le coup."
Armel Guerne
Éditorial
par
Charles Le Brun
Ces
quelques hommes et femmes auxquels l’Histoire a donné le nom de
Romantiques allemands, furent parmi les derniers à dénoncer l’imminence du
drame que les années à venir allaient connaître.
Dans le même temps que Novalis tentait de rassembler tout ce
qui pourrait encore sauver les derniers vestiges de l’âme européenne, de
l’autre côté de l’Atlantique, une race entière dont on avait volé la
raison d’être en lui prenant sa terre disparaissait, anéantie, criant au
ciel son désespoir et maudissant les artisans de son malheur. Les «
Peaux-Rouges », car c’est d’eux qu’il s’agit, avaient dit par le
truchement de leurs interprètes : « L’homme blanc détruit tout ce qu’il
touche. » Chez eux, en effet, lorsqu’on les découvrit, rien n’existait qui
fût profane quand chez nous – leurs « civilisateurs » – l’attention tout
entière s’était déjà irréversiblement tournée vers cette philosophie du
déshonneur qu’on allait habiller du nom d’utilitarisme et selon
laquelle rien ne compte que le nombre, la quantité, la production et
l’appropriation dans l’irrespect le plus total de la Nature et le mépris
de ses lois – irréfragables jusqu’alors.
L’assourdissant concert de notre équivoque progrès ne nous laissera plus
bientôt la moindre place pour la plus élémentaire MAIS indispensable
prière, avalés que nous sommes par la horde enragée des démons ricanants
de la publicité, de l’insolence, de l’impudeur, de l’impiété ; expulsés de
nous-mêmes par le bruit et l’image du tout-puissant écran et distraits,
jusqu’au vertige, par sa logorrhée fallacieuse.
Alors,
on peut se demander sans sourire : que restera-t-il de nous, dans quelques
décennies, si la hâte se hâte encore à tout vider de ce qui fit le
fondement de nos pays ? Qui osera se dresser contre ce monde désorbité,
impaisible et cruel sous la grimace humanitaire ? Les Romantiques l’ont
fait, tentant de réveiller l’univers des esprits pour que l’Esprit
survive ; que le sacré habite encore le cœur et la parole et le geste de
l’homme. Mais aujourd’hui, quelle heure est-il au cadran de nos
destinées ? Et qui, dans les fracas dérisoires de « l’actualité »
désormais souveraine, l’entendra sonner ? |