
M.-M Davy, Henry et Stella Corbin, Session Eranos, Ascona (Suisse)
©Archives départementales des Deux-Sèvres
"Louis Massignon fut un « homme de Feu - et Henry Corbin un
« homme de Lumière », écrit Jean Moncelon dans un article
chaleureux. « Entre les deux orientalistes - le Feu et la
Lumière - l'amitié fut dictée [...] par une compréhension profonde
de leurs vocations respectives. » Pour ceux qui ont eu la joie
de connaître Henry Corbin et d'éprouver pour lui une grande amitié, le
qualificatif « d'homme de Lumière » lui convient parfaitement.
Massignon se consacra à
l'étude d'Hallâj et Henry Corbin à Sohravardî. Des divergences
fondamentales séparent ces deux savants. Tout d'abord leurs religions:
Massignon redevint catholique, Corbin opta pour le protestantisme. On
pourrait encore mentionner la différence de leurs tempéraments respectifs
particulièrement signifiante.
Dans son article, Jean
Moncelon cite un texte de Jacques Mercanton disant à propos de Massignon:
« Dans son grand âge, cet homme passionné, d'une humilité
bouleversante, avait gardé cette fierté dans l'attitude et dans les
yeux [...] un signe de jeunesse [...] jeunesse
éternelle du Dieu qu'elle respire. » En 1928, Corbin fut
l'élève de Massignon à la Section des Sciences religieuses de l'École
pratique des Hautes Études. Il signala les « intuitions » fulgurantes
dont le grand mystique Massignon était prodigue ».
Henry Corbin et Massignon se
rencontrèrent lors de conférences données à Ascona. Entre 1954 et 1962,
ils se virent souvent et s'estimèrent. Henry Corbin enseigna à l'École des
Hautes Études de 1954 à 1974. Après sa retraite, suivant la coutume, il
prolongea ses cours grâce à des conférences.
Lors du décès de Massignon,
Henry Corbin organisa à Téhéran un hommage solennel et écrivit un article
nécrologique qui parut en 1963-1964 dans l'Annuaire de l'École
des Hautes Études. En 1978, il notera : « on n'échappait
pas à son influence. Son âme de feu, sa pénétration intrépide dans
les arcanes de la vie mystique en Islam, où nul n'avait
encore pénétré de cette façon la noblesse de ses indignations devant les
lâchetés de ce monde, tout cela marquait inévitablement de
son empreinte l'esprit des jeunes auditeurs. »
La singularité de leurs
approches différentes de l'islam s'exprima fréquemment. Il conviendrait de
retenir leurs appréciations distinctes relatives à la Terre, l'Ange
et la Femme. Corbin se montrait infiniment plus libre avec
davantage d'ouverture.
La
géographie spirituelle
tient
un rôle éminent dans la pensée
d'Henry Corbin. Très justement, Jean Moncelon retient le « mundus
imaginalis [...] la Terre des visions [...] le monde où
"ont lieu" les événements spirituels réels ». Ceux-ci échappent à la
condition historique. « Henry Corbin fut essentiellement un
chevalier, et Louis Massignon, un preux (en arabe, fatâ,
comme le Coran, le dit d’Abraham), un homme de l'éternelle
jeunesse de l’Amour. »
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