Essai de définition

Qu'appelle-t-on ésotérisme?

 

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L’ésotérisme dans les religions du Livre

           On rencontre l’ésotérisme dans différents courants des religions du Livre, qui ont donné leur propre définition de l’ésotérisme et surtout dans quelques œuvres qui méritent d’être appelées fondamentales, parce qu’elles l’illustrent de manière exemplaire. Avant de donner quelques aperçus sur la manière dont les trois Religions du Livre définissent l’ésotérisme, si l’on peut dire leur ésotérisme, tel qu’il est pratiqué dans le cadre de leurs religions respectives, il paraît indispensable de rappeler cette réflexion de Frithjof Schuon selon laquelle « l’ésotérisme en soi » – autrement dit la sophia perennis – « est indépendant des formes particulières » de l’ésotérisme, dont il est l’essence. Cela n’empêche que les religions que l’on nomme « abrahamiques » ont développé chacune un ésotérisme, ainsi la Kabbale, le Soufisme et l’ésotérisme chrétien qui forment autant de définitions de l’ésotérisme, en relation avec « l’ésotérisme en soi ».

           Pour expliciter cela, on peut recourir à une sorte de « typologie religieuse », en rapport avec ces deux voies qui sont celle de l’expérience du Soi et celle des profondeurs de Dieu : « L’Absolu peut être approché par deux voies, écrit Frithjof Schuon, l’une fondée sur « Dieu en soi », et l’autre sur « Dieu fait homme » ; c’est ce qui fait la distinction entre, d’une part l’Abrahamisme, le Mosaïsme, l’Islam, le Platonisme, le Védantisme, et d’autre part le Christianisme, le Ramaïsme, le Krishnaïsme, l’Amidisme, et d’une certaine manière même le Bouddhisme tout court.

La deuxième de ces voies – celle du Logos – est comparable à une barque qui nous même à l’autre rive : la terre lointaine se fait proche, sous la forme de la barque ; Dieu se fait homme parce que nous sommes hommes ; Il nous tend la main en assumant notre propre forme. (…) La première de ces voies se fonde au contraire sur l’idée que l’homme, par sa nature même – déchue ou non – a accès à Dieu, et que c’est la foi en « Dieu en soi » qui sauve ; mais cette foi doit être intégrale, elle doit englober tout ce que nous sommes, à savoir la pensée, la volonté, l’activité, le sentiment ».

            Quoi qu’il en soit, toutes les « formes particulières » de l’ésotérisme, dans les religions du Livre, se comprennent en référence à un exotérisme. En ce qui concerne la Kabbale, par exemple, qui est strictement l’ésotérisme hébraïque, même si l’on parle parfois de Kabbale chrétienne ou que l’on fasse passer parfois Jacob Boehme pour un cabaliste, on peut se rapporter à cette mise en garde du Zohar : « Le sens littéral de l’Écriture, c’est l’enveloppe ; et malheur à celui qui prend cette enveloppe pour l’Écriture même ».

« De toutes les doctrines traditionnelles, écrit René Guénon, dans ses Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme, la doctrine islamique est peut-être celle où est marquée le plus nettement la distinction de deux parties complémentaires l’une de l’autre ». La première est la Shariya (le chemin extérieur) et la seconde la Haqîqa (la « vérité » intérieure). « On les compare souvent, ajoute-t-il, pour exprimer leur caractère respectivement « extérieur » et « intérieur », à l’« écorce » et au « noyau ».

            S’agissant de l’ésotérisme chrétien, enfin, rien de plus explicite que cette définition de Frithjof Schuon : « On peut et doit entendre par « ésotérisme chrétien » la vérité pure et simple – métaphysique et spirituelle – en tant qu’elle s’exprime ou se manifeste à travers des formes dogmatiques, rituelles et autres du Christianisme ; ou, formulé en sens inverse, cet ésotérisme est l’ensemble des symboles chrétiens en tant qu’ils expriment ou manifestent la métaphysique pure et la spiritualité une et universelle ».

 

L'Orient de l'Âme

             La notion d’ésotérisme se rapporte, fondamentalement, à un pèlerinage intérieur qui s’effectue en direction, d’abord, d’un Paradis terrestre ou « édénique », d’un Orient retrouvé, ou Monde de l’Âme, et, ensuite, d’un Paradis céleste qui est situé, lui, à l’Orient de l’âme. Ce Paradis terrestre est un Jardin, avec ses « quatre fontaines d’eau vives », et il est identifié, dans un contexte chrétien, au cœur de Jésus, ou plutôt à l’enveloppe de ce Cœur. En Islam, ce Jardin est assimilable au centre de soi-même, à « l’état primordial », selon la fameuse sentence islamique : « celui qui se connaît lui-même, connaît son Seigneur » « man yaraf nafsahu yaraf Rabbahu ». Ce centre de soi constitue le « secret » de l’initié, son vrai cœur, selon le mot d’Origène : « Ce n’est pas dans un lieu ni sur terre que Dieu habite, mais dans le cœur… dans un cœur pur. C’est là, en effet, qu’il fera sa demeure. » Ce Paradis est donc un « secret », mais à la manière dont les « battements » du divin cœur de Jésus sont un « secret dans un secret ». On se rappellera qu’à la Cène, le disciple bien-aimé posa sa tête sur la poitrine de Jésus, il s’inclina en son « sein » et, ce qu’il entendit, ce sont les battements de son Cœur. De la même manière, sur le Golgotha, le Cœur de Jésus qui avait cessé de battre, fut transpercé, et il en sortit de l’eau et du sang.

C’est ainsi que le Paradis céleste, ou Orient de l’âme, est figuré par ce « secret du secret », ce « cœur du cœur ». Que cet Orient de l’âme représente l’accès au monde divin, par la médiation d’un Maître intérieur, c’est ce que laisse entendre cette « variante » de la sentence citée plus haut « celui qui connaît son Imâm (ou qui connaît son Soi), connaît son Seigneur », mais c’est aussi, pour l’initié chrétien la blessure au Cœur de Jésus qui en est le Seuil. Dès que ce Seuil est franchi, l’adepte progresse au sein de cet Orient de l’âme, dans le Silence qui suit le dernier son audible, à savoir les battements du Cœur de Jésus, dans l’intimité de l’Imâm, qui est le « Silencieux », et cela jusqu’à cette connaissance qui est connaissance du Soi, comme l’indique cette dernière variante de la sentence islamique : « celui qui connaît son Soi, connaît son Seigneur ».

A l’Orient de cet Orient, enfin, se situe « le Saint, l’Inconnu », l’Ungrund, selon Maître Eckhart, ou l’Océan divin, comme le suggère Sainte Gertrude à propos du disciple bien-aimé et du Cœur de Jésus dans une célèbre vision, ou Ibn ‘Arabî dans une prière non moins fameuse : « Fais-moi entrer, ô Seigneur, dans les profondeurs de l’Océan de ton unité infinie », ou encore Denis le Mystique : « Il y a une connaissance de Dieu qui résulte d‘une sublime ignorance et nous est donnée dans une incompréhensible union, c’est lorsque l’âme quittant toutes choses et s’oubliant elle-même est plongée dans les flots de la gloire divine et s’éclaire parmi les splendides abîmes de la sagesse insondable » .

            S’il fallait donc donner en quelques mots une définition de l’ésotérisme, de la voie ésotérique, nous dirions que c’est l’accès à l’Orient de l’âme. Car ce n’est qu’une fois entré vivant dans la mort que l’on parvient à l’Orient de l’âme, et une fois délivré vivant que l’on atteint l’Orient de l’Orient de l’âme.

             Cependant on se trouve, avec cette définition de l’Ésotérisme en tant qu’« Orient de l’âme », immédiatement au point central de ce que l’on peut en dire, comme but ou objectif de la voie ésotérique, et il est nécessaire de rappeler que l’ésotérisme se définit aussi par rapport à l’exotérisme. Là, l’ésotérisme apparaît moins un cheminement qu’une attitude, pour employer une expression moderne : « Une doctrine ou une voie est exotérique dans la mesure où elle est obligée de tenir compte de l’individualisme (…) et de voiler l’équation Intellect-Soi par une « imagerie » mythologique et morale (…) ; et elle est ésotérique dans la mesure où elle communique l’essence même de notre position universelle, de notre situation entre le néant et l’Infini. » Autrement dit, « l’ésotérisme vise la nature des choses et non notre seule eschatologie humaine ; il voit l’univers, non à partir de l’homme, mais « à partir de Dieu », comme l'écrit Frithjof Schuon, dans Sentiers de gnose.