Qu’appelle-t-on ésotérisme ?

L’œil du cœur

« L’espérance du Paradis et de sa félicité, la crainte des terribles châtiments de l’Enfer décrits par le Coran, s’unissaient pour aiguillonner les croyants et les inciter à l’obéissance. Cependant, les soufis comprenaient mieux la vraie préoccupation des croyants : Râbi’â, cette pieuse femme de Basra (décédée en 801), leur enseigna à aimer Dieu non par espoir ou par crainte, mais pour Sa Beauté éternelle : par pur amour. Le Coran ne dit-il pas : « Il les aime et ils L’aiment » (V, 59 »

Annemarie Schimmel

« Leurs cœurs sont purs et sans tache, pleins de bonté et d’innocence comme des cœurs d’enfants pieux. Ils sont sans emportement, et pourtant pleins de feu et d’amour. Et moi je suis morte, je ne suis qu’un esprit ; autrement, je ne pourrais voir ces choses, car elles n’existent pas maintenant, et cependant maintenant elles existent. Mais cela n’existe pas dans le temps ; en Dieu il n’y a pas de temps, en Dieu tout est présent ; je suis morte, je suis un esprit. »

Anne Catherine Emmerick

 

 

 

 

 

 

 

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Ce qu’est l’ésotérisme au sens traditionnel du terme

« La tradition primordiale renvoie à la révélation primitive reçue par Adam au Paradis » Jean Borella

Une tradition primordiale ayant été confiée à l’humanité au sein du Paradis, des traditions furent révélées successivement aux hommes depuis leur sortie de ce Paradis, avec les moyens de « se réaliser », à travers des rites initiatiques qui leur permettent de réintégrer les conditions de leur existence « paradisiaque ». Le christianisme est l’une de ces traditions.

Remarquons cependant dès à présent que le christianisme est quelque peu différent des autres traditions, d’une part dans la mesure où « les notions d’exotérisme et d’ésotérisme s’effacent totalement dans le Christ », et d’autre part parce qu’il pourrait bien être, du fait de la divinité du Christ, un pur ésotérisme, du moins à ses commencements, avant de devenir religion, au sens où nous l’entendons couramment, mêlant ésotérisme et exotérisme (thèse de Frithjof Schuon qui parle toujours de « l’exo-ésotérisme » du christianisme), puis un seul exotérisme (thèse de René Guénon).

L’épisode des Rois Mages permettra de comprendre ce dont il s’agit lorsque l’on parle de Tradition primordiale, dès lors qu’ils en apparaissent comme les « dépositaires authentiques », « les gardiens du dépôt de la Révélation faite à l’humanité dès le paradis terrestre ».

Voici ce qu’en dit René Guénon : "Les Rois Mages, par l'hommage qu'ils rendent au Christ et par les présents qu'ils lui offrent, reconnaissent expressément en lui la source de cette autorité dans tous les domaines où elle s'exerce : le premier lui offre l'or et le salue comme roi ; le second lui offre l'encens et le salue comme prêtre ; enfin, le troisième lui offre la myrrhe ou le baume d'incorruptibilité et le salue comme prophète ou Maître spirituel par excellence, ce qui correspond directement au principe commun des deux pouvoirs sacerdotal et royal. L'hommage est ainsi rendu au Christ, dès sa naissance humaine, dans les "trois mondes" dont parlent toutes les doctrines orientales : le monde terrestre, le monde intermédiaire et le monde céleste."

 

Si l’on prétend définir l’ésotérisme, il est prudent de s’entourer de précautions, surtout si l’on veut parler d’ésotérisme chrétien.

Un bref aperçu sur l’Annuaire Internet de l’Ésotérisme permet de constater, par exemple, qu’il y est question de tout ce qu’on peut imaginer en matière d’alchimie, d’occultisme, de divination, d’astrologie, de numérologie, de vie extraterrestre et de voyance, mais aussi qu’il n’y est jamais question d’ésotérisme au sens traditionnel du terme!

Il n’est pas inutile, dans ces conditions, de s’appuyer sur la définition qu’en donne l’Islam.

L’ésotérisme selon l’Islam est la voie qui permet d’atteindre « les réalités essentielles cachées derrière les apparences » et qui ne peuvent se percevoir que par « l’œil du cœur ». On pourrait citer, en manière d’illustration, ce distique du célèbre poète persan Hâfez :

« Pour voir Ton visage, il faut des yeux capables de regarder l’âme. / Ce n’est pas au niveau de mon œil qui ne regarde que ce monde ». Mais également saint Paul : « Que le Dieu de Notre Seigneur Jésus-Christ (…) illumine les yeux de votre cœur pour que vous sachiez (…) qu’elle est la richesse de la gloire dont il vous fait hériter parmi les saints » (Épître aux Éphésiens, I, 17-18) ou sainte Hildegarde de Bingen, évoquant dans le prologue de son Livre des Œuvres divines les « yeux intérieurs de [ son ] esprit »…

Chaque Message divin comporte toujours deux dimensions qui sont, d’une part, la Vérité et, d’autre part, la Loi .

Chaque religion possède un « dehors » et un « dedans », mais indissociables l’un de l’autre. De sorte qu’à chaque croyant se présentent deux voies dont on a dit ceci : « La voie mystique est comme un arbre s’élevant vers le ciel et dont les racines plongent dans la voie commune ».

Pas d’ésotérisme, donc, sans une loi exotérique. C’est, comme nous le verrons plus tard, ce qui a permis à René Guénon de conclure que le Christianisme, du moins le christianisme des origines, ne pouvait être qu’un ésotérisme. En effet, ou bien l’ésotérisme chrétien n’existe pas, ou bien le christianisme est un pur ésotérisme, dès lors que le Christ n’a pas apporté aux hommes une Loi , mais la Vérité.

Or, on ne peut se contenter de dire que la Loi, c’est l’Amour, car l’Amour est précisément ce qui est le plus étranger à la Loi. Or , il faut une Loi pour le commun des mortels, certes une Loi inspirée par la Vérité du christianisme, c’est-à-dire l’Amour, mais aussi une Loi qui, historiquement, n’est apparue qu’au moment où le christianisme est devenu religion et religion d’état, adaptant l’ancien droit romain pour se constituer en tant que religion « légale » : « Le Christianisme ne possède pas (…) l’équivalent de la partie proprement légale des autres traditions ; cela est tellement vrai que, pour y suppléer, il a dû adapter à son usage l’ancien droit romain, en y faisant d’ailleurs des adjonctions, mais qui, pour lui être propres, n’ont pas davantage leurs sources dans les Écritures mêmes. »   

Pour en revenir à une définition de l’ésotérisme, il convient d’abord de le distinguer soigneusement de l’occultisme, de l’hermétisme, du (des) gnosticisme(s), et à plus forte raison du spiritisme, en bref de tous les courants d’idées nés dans les marges du christianisme - le plus souvent en réaction contre lui - et qui sont assimilés bien à tort à l’ésotérisme chrétien. A moins que ce ne soit finalement à très juste titre, mai alors d’un autre point de vue, l’ésotérisme chrétien ne pouvant être finalement que cela. Il en existe cependant une définition que l’on qualifiera d’orthodoxe, parce qu’elle répond aux critères de la vie spirituelle définie par les religions elles-mêmes, en particulier les Religions du Livre.