Qu’appelle-t-on ésotérisme chrétien ?

« Si l’Esprit de Dieu te touche de Son essence, / l’Enfant de l’Éternité naît en toi »

Angelius Silesius

« Les contemplatifs chrétiens, et surtout les contemplatifs postmédiévaux, s’apparentent bien aux contemplatifs musulmans qui suivent le voie de l’amour spirituel (al-mahabbah) – le bakhti-mârga des Hindous – mais très rarement aux contemplatifs orientaux d’un ordre purement intellectuel (…) Or, l’amour spirituel est en quelque sorte intermédiaire entre l’élan dévotionnel et la connaissance »

« La connaissance de Dieu engendre toujours l’amour, et l’amour présuppose une connaissance – au moins indirecte et par reflet – de l’objet aimé. L’amour spirituel a pour objet la Beauté divine, qui est un aspect de l’Infinité. (…) C’est par son objet, la Beauté, que l’amour coïncide virtuellement avec la connaissance »

Titus Burckhardt

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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[ Mystique et ésotérisme | Amour et connaissance | Religion du salut et ésotérisme | La question de l'initiation chrétienne ]

Il n’est pas le fait d’une mystérieuse « Eglise invisible » comme on le croit parfois, il est le christianisme des origines, qui s’est perpétué jusqu’à nos jours, sous le double signe de Saint Pierre et de Saint Jean, donc de l’Eglise.

L’Eglise de Jean, dont on entend parler, pour l’opposer à l’Eglise de Pierre, n’existe pas. Par contre, il est très vrai qu’il y eut, à Éphèse, une communauté johannique, « la communauté du disciple bien-aimé », dont l’enseignement est tout entier contenu dans le 4ème Évangile. Même les théologiens le reconnaissent. Mais ceci est hors du présent propos, même si on peut s’interroger sur ce qu’a pu être la vie spirituelle d’une communauté animée par le disciple que Jésus aimait… L’archéologie nous renseigne au moins sur la symbolique « initiatique » du baptême (Basilique saint Jean à Éphèse, aujourd’hui Selçuk).

Ce qui est non moins vrai est que les Apôtres et tous les papes, successeurs de Pierre, jusqu’à la fin du 5ème siècle ont été aussi des saints. De ce point de vue, l’ésotérisme chrétien, ce sont les Apôtres et les saints des premiers siècles.

L’enseignement de l’Eglise, c’est donc la sainteté, mais c’est aussi ce qui s’enseigne dans le secret de l’Eglise, à savoir l’amour d’un seul Seigneur, l’intimité avec Lui, qui se vit dans le secret du cœur et qui est symbolisé par la blessure – le Coup de Lance – du divin Cœur sur la Croix.

On pense ici à cette réflexion de Jean Daujat, dans sa Vie surnaturelle (1939) : « Tout ce qu’il y a de plus excellent dans l’Eglise, représenté par saint Jean, le disciple bien aimé, est soumis au contrôle du magistère de l’Eglise représenté par saint Pierre. Il faut se placer sous l’influence de saint Pierre pour vivre plus profondément de la vie de l’Eglise, du corps mystique. Il faut se placer sous l’influence de saint Jean pour pénétrer plus avant dans l’intimité du Sacré-cœur de Jésus »

Mystique et Esotérisme

Le christianisme ne peut guère emprunter une autre voie que celle de l’Amour spirituel. Mais il convient alors de la distinguer de la voie commune du croyant qui ne dépasse pas les réalités sensibles et de celle des « mystiques » qui s’arrêtent à leur élan dévotionnel. C’est la voie de l’amour spirituel qui peut constituer l’ésotérisme chrétien.

Amour et Connaissance

Les traditions ésotériques reconnaissent trois « voies » qui sont celles de la connaissance, de l’amour et de l’action.

Le thème fondamental du christianisme étant l’Amour, « les porte-parole chrétiens de la gnose s’expriment, avec de rares exceptions, à travers le symbolisme de l’Amour ». Il est difficile de souscrire d’ailleurs pour un chrétien à la primauté de la Connaissance sur l’Amour, tel que c’est le cas dans l’Hindouisme ainsi qu’en Islam.

On ne voit pas, en effet, ce qui pourrait dépasser cet état où « l’âme est toujours dirigée par l’inspiration du Saint-Esprit », où « l’âme a vraiment retrouvé l’innocence d’avant le péché » que l’on désigne sous le nom d’union transformante, et que sainte Thérèse d’Avila décrivait ainsi : « En ce temple de Dieu, en cette demeure qui est sienne, Dieu seul et l’âme jouissent l’un de l’autre dans un très profond silence. »

Religion du « salut » et ésotérisme

« Loin de n’être que la religion ou la tradition exotérique que l’on connaît actuellement sous ce nom, le Christianisme, à ses origines, avait, tant par ses rites que par sa doctrine, un caractère essentiellement ésotérique, et par conséquent initiatique ».

René Guénon

 Il est donc inutile de se demander ce qu’est l’ésotérisme chrétien puisqu’il est le christianisme même, à ceci près qu’il s’agit du christianisme des origines, en d’autres termes du christianisme des premiers siècles, qui s’achève avant même le Concile de Nicée (325). On peut même dire que l’ésotérisme, c’est le christianisme, quand bien même l’ésotérisme est présent dans toutes les traditions religieuses, « abrahamiques » ou non, y compris les traditions pré-chrétiennes comme la tradition celte.

Ce qui caractérise ce christianisme des origines, ce sont des sacrements qui sont autant de rites d’initiation, qui confèrent donc l’initiation chrétienne, en particulier le baptême et la confirmation, et ce sont des rites initiatiques dont le plus connu est l’Eucharistie. C’est donc l’ésotérisme chrétien ou le christianisme des origines qui devrait « incarner » de nos jours cette Tradition primordiale.

La difficulté est celle-ci :

A partir du Concile de Nicée, le christianisme devient une religion, une tradition exotérique, conservant toutefois, plus ou moins secrètement, la trace de cet ésotérisme des origines, au moins jusqu’aux environs du 14ème siècle, pour n’être plus depuis lors qu’une tradition exotérique s’éloignant toujours plus de son caractère ésotérique, de nos jours tout à fait disparu. A dire vrai il n’existe plus rien de vivant du christianisme des origines et donc de l’ésotérisme chrétien. L’ésotérisme se maintient cependant dans d’autres traditions qui font référence à la Tradition primordiale, et c’est le cas tout particulièrement de l’islam.

Dès lors, comment recevoir une initiation au sein du christianisme, comment « appartenir » à l’ésotérisme chrétien ?

La question de l’initiation chrétienne

Du point de vue d’un René Guénon, qui a lui-même exploré toutes les possibilités d’initiation régulière en Occident, et qui a fini par se convertir à l’Islam, il n’y a qu’une alternative : demeurer au sein du christianisme, mais sans espoir d’une véritable initiation, ou se convertir à l’islam, à l’ésotérisme islamique. (On citera pour mémoire l’épisode de « la grande Triade »).

Pour Frithjof Schuon, par contre, le caractère initiatique des sacrements étant demeuré intact, cela signifie que par le baptême d’une part et la confirmation d’autre part, chaque chrétien est « initié » et qu’il lui suffit d’un enseignement traditionnel pour tirer tout le bénéfice spirituel de cette initiation. Ce fut, en son temps (1948), le motif de « l’affaire des Mystères christiques » qui confirmait que le christianisme est bien un ésotérisme, mais infirmait dans le même temps la position de Guénon pour qui l’initiation est à chercher du côté d’une tradition qui a conservé sa dimension ésotérique, et la plus facile d’accès, la plus rigoureuse aussi, pour ne pas dire la plus « intellectuelle », à savoir l’Islam.

Quoi qu’il faille penser de cette polémique, il suffira de constater que les disciples de Schuon eurent le choix de demeurer dans la tradition chrétienne (Jean Borella) ou se convertir à l’Islam, tandis que ceux de Guénon, à quelques exceptions notables, ont choisi – et cela est encore vrai, après plusieurs générations – en masse l’Islam : de Michel Valsân à Titus Burckhardt, de Michel Chodkiewicz à Roger du Pasquier de Denis Gril à Claude Addad…

Ceci pour les Guénoniens. Comment peut-on considérer autrement la question ?

Le Maître, par excellence, c’est le Christ – de la même manière que l’ésotérisme chrétien, c’est l’Amour. Le Christ est, en effet, « la Voie, la Vérité, la Vie ».

L’initiation ne peut être conférée que par un maître lui-même initié. Pas d’ésotérisme, en effet, sans la transmission, à la fois d’un savoir et d’un « manteau », comme disent les musulmans.

Mais le maître peut être visible ou invisible.

Rappelons à ce sujet une anecdote rapportée par l’émir Abd-el-Kader : « Un saint rencontra un jour un murîd affligé et l’interrogea sur les causes de sa tristesse : « C’est » dit le murîd, « que mon maître est mort ». Et le saint de répliquer : « Mais aussi qu’elle étrange idée de prendre pour maître un mortel ! »

Dans l’ésotérisme chrétien, les spirituels sont guidés par le Christ en personne ou parfois par saint Jean, « le disciple que Jésus aimait ». C’est particulièrement frappant pour tous ceux qui, comme sainte Gertrude, ont reçu une révélation à propos de son divin Cœur. Quoi qu’il en soit, c’est toujours l’Esprit-Saint qui agit.

Parmi les "maîtres invisibles", il y a donc le disciple que Jésus aimait (cf. sainte Gertrude), l’Ange (cf. Anne Catherine Emmerick), l’Esprit (cf. sainte Hildegarde de Bingen), l’Étranger (cf. Louis Massignon), voire le Christ lui-même (cf. Pascal ou Swedenborg)… Les maîtres chrétiens ne manquent donc pas, contrairement à ce que pensait René Guénon, même s’il s’agit toujours de maîtres invisibles, de maîtres qui sont d’une manière ou d’une autre des « tenant lieu » du Christ lui-même.