Les espoirs que René Guénon
fondait en 1927, lors de la rédaction de La crise du monde moderne, ou ceux de
Julius Evola, quelques années plus tard, avec sa Révolte contre le monde moderne,
en 1952, sont-ils encore dactualité ? On peut légitimement sinterroger
sur les chances dune revivification de la Tradition alors que les religions
elles-mêmes sont désormais atteintes dans leurs fondements. De ce point de vue, malgré
de très intéressantes tentatives chez les juifs (le courant Loubavitch) et les musulmans
(les Frères musulmans, limam Khomeiny) que lesprit moderne qualifie de
réactionnaires -, malgré la vigilance de lÉglise catholique en matière de dogme,
- régulièrement caricaturée en inquisition force est de constater que quelque
chose se met en place quon appelle « la deuxième religiosité ».
De ce point de vue, également, il
nest pas inutile de rappeler que lhistoire du monde occidental est une suite
dusurpations des pouvoirs par des classes toujours plus inférieures (du pouvoir
sacerdotal au pouvoir royal contestant lautorité du premier, du pouvoir royal à la
Révolution et donc au pouvoir de la bourgeoisie, auquel succède celui du prolétariat).
Il nest pas question ici de discuter la validité de cette interprétation , mais de
sarrêter à sa conclusion :
« Et comme
lusurpation appelle lusurpation, après les Vaishyas, ce sont maintenant les
Shudras qui, à leur tour, aspirent à la domination : cest là très
exactement, la signification du bolchevisme. Nous ne voulons à cet égard, formuler
aucune prévision, mais il ne serait sans doute pas bien difficile de tirer, de ce qui
précède, certaines conséquences pour lavenir : si les éléments sociaux les
plus inférieurs accèdent au pouvoir dune façon ou dune autre, leur règne
sera vraisemblablement le plus bref de tous, et il marquera la dernière phase dun
certain cycle historique, puisquil nest pas possible de descendre plus
bas ; si même un tel événement na pas une portée plus générale, il est
donc à supposer quil sera tout au moins, pour lOccident, la fin de la
période moderne. »
Ces lignes ont été écrites en 1929 et elles sont prophétiques,
puisquelles se trouvent confirmées à la fois par leffondrement récent des
états marxistes et par lémergence de ce quon désigne comme la
post-modernité, où le pouvoir nappartient plus à aucune classe sociale, mais à
des groupes de pression dispersés sur la planète et ce dans le cadre plus général de
la mondialisation.
Parallèlement, les religions qui sétaient maintenues, fût-ce
dans des conditions dramatiques « lEglise du silence » - se
trouvent désormais confrontées à un phénomène nouveau nommé la « deuxième
religiosité ».
Quappelle-t-on « deuxième religiosité » ?
Julius Evola en parlait déjà, en
1961, comme « quelque chose d'hybride, de déliquescent et de
sub-intellectuel » . L'humanité est entrée, en
effet, dans un nouveau cycle post-moderne qui se caractérise par une confusion
grandissante des esprits qui ne porte plus seulement sur lésotérisme mais sur les
dogmes eux-mêmes des religions.
Ainsi les Bahais, le New Age, voire certains mouvements
pentecôtistes, apparaissent-ils, dans leur désir de syncrétisme, leur cuménisme
mal compris, comme les promoteurs dune idée maîtresse de lésotérisme, mais
qui ne peut être considérée quà la hauteur de spiritualité quelle
suppose, et non comme un irénisme, à savoir lunité des formes traditionnelles.
Cest quelque chose dassez tragique si lon veut bien y réfléchir, comme
toute parodie dune idée qui ne peut se soutenir quà un degré supérieur de
conscience. Dans le même ordre didées on notera la condamnation de lesprit
dAssise par des mouvements fondamentalistes chrétiens incapables de sélever
au-dessus de la Loi
Il y a plus grave : lémergence dun
néo-spiritualisme, assez proche des courants gnostiques de la fin du siècle dernier, et
parfois sy rattachant, mais qui prolifère en particulier dans le monde
virtuel de lInternet, - et ajoute à la confusion des esprits en répandant une
forme parodique de lésotérisme. Ce néo-spiritualisme particulièrement dangereux
ne constitue rien dautre quune quête du Graal à lenvers.
On ne sait finalement quel est le danger le plus grand, de la nouvelle
religiosité qui se caractérise par une confusion complète des repères religieux ou de
la perversion du néo-spiritualisme
Ce qui est certain, c'est que les religions du
Livre se trouvent désormais au coude à coude avec le New Age, les sectes et le
néo-spiritualisme. Il ne sagit plus désormais pour les religions de combattre des
hérésies, comme au temps de larianisme, non plus que des religions
« rivales », comme cela fut le cas avec lislam, mais daffronter
confusion et perversion, telles quelles soffrent à une multitude dâmes
sans guides spirituels et engagées désormais à la suite dun grand nombre de
« faux prophètes ».
Or, c'est depuis l'avènement de la mondialisation - en terme
économique - du New World Order, - au plan politique -, ainsi que de la globalisation
technologique quune deuxième religiosité se répand toujours plus, aussi bien dans
le monde réel que dans le monde virtuel, avec un néo-spiritualisme qui trouve dans la
réalité virtuelle son véritable mode d'expression. Si la religion, si l'incroyance
même se voient à ce point débordées par la nouvelle religiosité et si la
spiritualité ne s'exprime plus que sous des formes parodiques, on peut légitimement se
demander si la fracture n'est pas plus profonde qu'il n'y paraît.
Il se pourrait alors que l'humanité se trouve en état de mort
spirituelle, et que la terrible sentence des grands Maîtres d'Alamut, devienne un jour la
nouvelle Loi commune : "Rien n'est vrai, Tout est permis", comme la parodie, à
l'échelle du monde, de la Grande Résurrection.
©1998, Jean Moncelon |