Le
Passant du bout du monde, comme il se désignait lui-même, nous aura
conduits, à travers ses ouvrages, dans ces parages d'extrême sud où tout
une humanité rêve et voyage en affrontant tempêtes et vents contraires.
"Une nuit, je
reste avec mon frère qui est de quart. Le ciel est dégagé, scintillant
d'étoiles, la lune brille. Les cordillères enneigées se reflètent à la
surface des eaux. Par moments, la proue du navire heurte des glaçons. On
dirait que nous naviguons en plein ciel, au-dessus des étoiles.
Enfin, par une matinée cristalline, apparaît
Puntas Arenas, la grande ville australe, enrobée de neige. Cette arrivée à
Puntas Arenas reste pour moi ineffaçable."
 "Un jour
j'ai voulu revoir la maison où je suis né, au bord de la mer, mais elle
avait été emportée par le temps et la dernière colère du Pacifique,
lorsque la quasi-totalité de l'archipel de la mer intérieure de Chiloé
s'était retrouvée un mètre au-dessous du niveau des eaux. Ce fut l'une des
conséquences du tremblement de terre et du raz-de-marée de 1960"
"Je crois avoir vu pour la première fois des
Alakaluf dans leur site traditionnel lors de mon voyage à Puntas Arenas, à
l'âge de quatorze ans..."
Voir Ce dit Francisco
Coloane des Alakalufs "Je
n'avais jamais imaginé que ma vie serait à ce point bousculée par autant
de voyages et que j'allais devenir avec le temps, et parfois malgré moi,
une espèce de globe-trotter. (...) J'avoue que j'aurais bien aimé être un
de ces explorateurs qui dressèrent les premières cartes de terres et de
mers inconnues. J'ai beaucoup voyagé, trop sans doute, pour découvrir à la
fin que les rivages les plus mystérieux restent ceux de mon enfance et de
ma jeunesse : Chiloé, la Patagonie, la Terre de Feu, le Cap Horn, l'océan
austral." "Les hommes australs que j'avais connus autrefois étaient en
général des individus peu causants, d'aspect rébarbatif, et c'était seulement après
avoir gratté minutieusement la cuirasse de leur personnalité qu'apparaissaient les
natures communicatives. Je me souviens particulièrement de l'un d'eux. Un homme très
grand et corpulent, chevelure rebelle et barbe blanche, qui, après avoir été peón
d'estancia, châtreur de moutons, contremaître, puis marin sur le bateau-école
Baquenado et enfin baleinier, a fait une pause dans ses courses sur les mers
australes pour devenir le plus grands écrivain du Chili. Il s'appelle Francisco Coloane,
il doit avoir environ quatre-vingts ans et, chaque fois qu'un ami lui rend visite, il
l'emmène naviguer sur les canaux et les mers du Bout du Monde." Luis Sepulveda
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