« Un
petit nombre seulement / connaît le mystère de l’amour, / Éprouve
l’insatisfaction / Et la soif éternelle. »
Le poète
romantique allemand Novalis (1772-1801) appartient au petit nombre de ceux
« qui savent le mystère de l’Amour », pour reprendre ses
propres termes, et qui ont traduit leur vocation dans des œuvres secrètes,
le plus souvent poétiques - on pense naturellement à Dante – mais non
seulement : celle d’un théosophe comme Jacob Boehme en témoigne
aussi. Ces quelques uns, qu’ils soient poètes ou théosophes,
pourraient être appelés fidèles d’amour, en relation avec leur
vocation qui est « Foi et Amour » ou adeptes,
ayant atteint cet Orient majeur qui est l’Orient de l’âme.
Novalis
fut un poète, indubitablement, et un « poète omniscient »,
ce en quoi il fut aussi un théosophe.
Il a accompli sa vocation à l’amour en très peu d’années et
porté à son terme un destin lumineux, inscrit dans son nom - NOVALIS - ,
dont les étoiles ou les Orients se nomment Sophie,
Julie-Mathilde et Christus. Il a rejoint l’Orient
de l’âme d’où il guide, comme une étoile à son tour ou mieux
encore comme un ange, ceux que leur propre destinée a rapprochés
de lui, de manière mystérieuse. Il en est le maître spirituel.
C’est d’ailleurs en relation avec ce destin qui fut le sien qu’on hésitera
à placer son nom aux côtés d’un Nerval, par exemple, de ces poètes visionnaires, comme lui, mais dont l’étoile
du malheur a basculé un jour derrière l’horizon de leur vie. En
revanche, il s’inscrit pleinement dans la lignée des alchimistes du
bonheur parfait que furent Dante, Jacob Boehme et d’autres encore qui sont
des Orientaux - et que l’étoile du Yémen n’a cessé
d’accompagner tout au long de leur pèlerinage intérieur.
Il ne suffit donc pas de lire Novalis, fût-ce avec la plus vive
sympathie, ni même de le comprendre de l’intérieur, en entrant
dans l’intimité de son œuvre, il faut vraiment le laisser s’avancer
au devant de nous si l’on veut découvrir le secret de sa vie qui est
aussi le nôtre. La manière est alors de procéder par « percées »
successives, de cercle en cercle, avant de prétendre en cerner les mystères,
en approcher peut-être le cœur, au final : sa biographie d’abord, la
suite des jours, si brève, des joies et des peines, des amitiés, des défaillances
du cœur et des élans d’enthousiasme ; sa vocation à l’amour,
ensuite, qui transparaît dans ses journaux intimes et dans ses fragments ;
son Orient tel qu’il se livre à nous dans Les disciples à Saïs,
Foi et Amour ou Pollens, dans d’autres fragments
encore et, enfin, cet Orient de l’âme dont les Hymnes à la Nuit
nous livrent les premiers instants tandis que son Henri d’Ofterdingen
nous en transmet les enseignements cachés, et tout cela avant que
l’existence terrestre de Novalis ne s’achève finalement.
Car
le premier enseignement de la vie de Novalis se trouve sans doute dans sa
mort. Aucun autre destin que le sien n’illustre mieux qu’il faut
mourir en ce monde une première fois, pour en sortir vivant.
C’est même cela atteindre son Orient, une fois accomplie sa vocation,
qui est fondamentalement vocation à l’Amour. Et le second
enseignement de son existence est
qu’il
ne suffit pas de mourir en ce monde pour renaître à la Vie, mais qu’il
faut aussi y avoir été transfiguré, en ayant traversé cet autre
Orient qui est l’Orient de l’âme, au terme d’une expérience
qui est non moins fondamentalement expérience de la
délivrance :
« Chaque homme peut par sa moralité, provoquer son jour du
Jugement. Le règne millénaire est et se perpétue toujours parmi
nous. Les meilleurs d’entre nous, qui déjà du temps de leur vie ont
atteint au monde spirituel, ne meurent qu’en apparence ; ils se
laissent seulement mourir en apparence (…). Celui qui ne parvient pas à
la perfection, y parvient peut-être au-delà – ou il lui faut
recommencer une nouvelle fois une carrière terrestre »
(frag. 65 des Études de Freiberg, 1798-99).
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