Les premières lignes des Disciples à Saïs sont connues :
« Les hommes vont de multiples chemins. Celui qui les suit et qui
les compare verra naître des figures qui semblent appartenir à une
grande écriture chiffrée qu’il entrevoit partout : sur les
ailes, la coquille des œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les
cristaux et dans la conformation des roches, sur les eaux qui se
prennent en glace, au-dedans et au-dehors des montagnes… » Ainsi
le disciple s’engage-t-il sur le chemin intérieure en direction
d’une Figure, d’une « vierge » - et d’une « patrie
sacrée » qui est l’Orient, conformément aux enseignements du
Maître : « Il veut que nous suivions chacun notre propre
voie, car toute voie nouvelle traverse de nouvelles contrées et
reconduit chacun, à la fin, à ce domicile, à cette patrie sacrée ».
La Nature est le chemin, et son « intime compréhension » en
est le terme. Cette connaissance en est réservée aux chercheurs et aux
poètes, car les uns et les autres « ont toujours paru, parlant la
même langue, appartenir à un même peuple. » Pourtant le
poète – initié en tant qu’il est un poète – garde la supériorité,
et c’est pourquoi, dit Novalis, « Celui qui veut connaître bien
son âme, doit la chercher en compagnie du poète : c’est là
qu’elle est ouverte et que s’épanche son cœur plein de merveilles. »
Mais aussi, quelles sont les dispositions que requiert l’initiation ?
« Une longue, perpétuelle fréquentation, une contemplation libre
et artiste, toute l’attention donnée aux moindres signes et aux
indices les plus légers, une vie intérieure de poète, des sens exercés,
une âme simple et religieuse, telles sont les choses exigées
essentiellement d’un amant de la Nature et à défaut desquelles nul
n’accomplira son désir. » Quant à l’initiation elle-même,
elle est fondamentalement une initiation à l’Amour : « Au
premier baiser s’épanouira devant toi un monde nouveau et avec lui la
vie entrera, en mille rayons, dans ton cœur ravi en extase »
C’est bien cela que Novalis a expérimenté avec Sophie von Kühn, tel
est bien le sens qu’il faut attribuer à ses fiançailles secrètes
avec elle : l’initiation est un premier baiser. C’est
ainsi que le fidèle d’amour inaugure son pèlerinage vers l’Orient.
Novalis en donne une illustration avec dans son conte Hyacinthe et
Fleur-de-rose. Le héros, Hyacinthe, un jeune garçon reçoit la
visite d’un étranger « qui avait voyagé incroyablement loin ».
Cet étranger est une figure du Maître, mais il n’est pas celui
qui doit conférer l’initiation, il est seulement celui à qui il
revient de porter l’Appel aux âmes en qui il reconnaît les
dispositions à l’initiation. Après trois jours de conversations où
l’étranger « parla de pays étrangers, de contrées inconnues,
de choses étonnantes et merveilleuses », Hyacinthe répond à cet
appel. Naturellement, ces pays étrangers n’appartiennent pas à la géographie
physique, ils sont l’Orient, ils forment la « patrie sacrée ».
Le jeune héros se décide donc un jour – « tout transformé
comme s’il venait de naître à nouveau », note Novalis – à
quitter sa famille, sa patrie, son « occident », il se met
en marche. Vers où ? « Je le voudrais bien vous le dire,
mais je ne le sais pas moi-même : c’est où réside la Mère des
Etres, la Vierge voilée. Mon cœur s’embrase et aspire après elle. »
Surtout, il n’ose affronter les adieux à Fleur-de-rose, cette jeune
fille, aussi jeune que lui, sincèrement éprise de lui.
Hyacinthe traverse d’abord « un âpre et sauvage pays »,
puis « des déserts de sables incandescents ». Mais son âme
subit des métamorphoses et bientôt « les paysages deviennent
« plus riches et plus divers, l’air tiède et bleu, le chemin
plus égal ». Un jour, enfin, il atteint une « source
cristalline et une abondance de fleurs qui descendaient au creux
d’une vallée entre de noires colonnes dressées jusqu’au ciel»,
une sorte de Source de vie, dernière étape de sa quête, avant de
parvenir à « la demeure si longtemps cherchée qui était là,
cachées sous des palmiers et d’autres végétaux aux essences précieuses » :
le terme de son cheminement, l’Orient. C’est pourquoi il s’endort
– « c’était le rêve seul qui devait le mener au saint des
saints ». Novalis fait alors remarquer à propos de Hyacinthe que
« tout lui semblait parfaitement connu ». Il s’agit donc
bien de sa vraie patrie, par opposition à sa patrie terrestre, et du
lieu de sa seconde naissance, du centre de son être, en d’autres
termes du paradis terrestre. – Et Hyacinthe se trouve devant « la
vierge céleste », comme Novalis devant Sophie lorsqu’elle
mourut. « Il souleva le léger, le brillant voile, et
Fleur-de-Rose fut dans ses bras. »
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