« La langue de Novalis, apparemment si transparente
d’expression, à la syntaxe élémentaire, mais d’une
puissance évocatrice irrésistible, cette langue à la
fois d’une simplicité d’allure frappante et d’une
inépuisable richesse d’aspects, dont nous nous
sommes efforcé dans cet ouvrage d’étudier la
structure, d’analyser les éléments, les « tote,
zuckende Reste », comme il est dit dans les
Disciples à Saïs, ne dévoile pas aisément son
mystère. Pour surprendre le secret de son charme
innombrable, toujours fuyant, toujours vainqueur, il
faut la pratiquer longuement, la fidèlement aimer ;
elle ressemble à la parole de cet inconnu que
Novalis évoque au chapitre IV de l’Ofterdingen,
à laquelle on prête d’abord à peine attention,
jusqu’à ce que, longtemps après son départ,
épanouissant peu à peu son modeste bouton, elle
révèle enfin une fleur magnifique, aux couleurs
brillantes, à la corolle merveilleuse, que plus
jamais on n’oublie, qu’on ne se lasse pas de
contempler, et en qui on a une source intarissable
de joies, un trésor toujours présent, toujours
vivant.
Tout ce
qu’il fit, il le fit avec amour, a écrit
magnifiquement de Novalis son ami intime, Louis (sic)
Tieck. Et de fait, à force d’amour, Novalis a
vraiment vécu son rêve ; à force d’amour, il a
réussi à l’immortaliser dans son œuvre. L’amour et
la poésie furent les pôles inséparables de sa vie
intérieure : Die Liebe ist das hôchste Reale – der
Ungrund, écrit-il, empruntant à Boehme l’un de ses
mots familiers ; et, d’autre part : Die Poesie ist
das echt absolut Reelle. Das ist der Kern meiner
Philosophie. Je poetischer, je wahrer. Sois aussi
bon et poétique que possible, telle est la
maxime qui, pour lui, renferme le commencement et la
fin de toute sagesse. L’amour lui commandait la
sincérité ; et, pour cette âme enfantine, confiante
et radieuse, la sincérité n’allait point sans
l’unité : il entreprit de réaliser cette unité
jusque dans les moindres détails de sa vie morale et
intellectuelle. Ne nous étonnons donc pas de la
trouver dans son œuvre si harmonieusement établie
entre l’expression et la pensée.
De son
cerveau de visionnaire génial et prédestiné était
sorti l’un des systèmes les plus étrangement
poétiques qu’on puisse rêver, fascinant jusqu’en ses
puérilités mêmes. Cette philosophie, Novalis
s’efforça courageusement de la pratiquer. Il la
croyait féconde et bienfaisante. Et, pour y faire
participer le monde, il créa un style incomparable,
au charme exquis et subtil, à la musique troublante,
et qui restera l’un des plus mystérieusement, des
plus souverainement originaux de la littérature
allemande. »
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