"D'un mot, je récapitulerai donc les
contradictions superficielles et la racine de l'écorché vif et du "cheikh
admirable", son dernier surnom d'amitié, mais aussi du prêtre fou de la croix, en
invoquant, pieusement, Massignon le gnostique."
"RENCONTRE
DE LOUIS MASSIGNON"
"En France, un
cercle d'initiés, voire de disciples, est profondément marqué par son
singulier génie. Grâce à Dieu qui m'y maintient! Christian Destremau et
Jean Moncelon se défendent d'en être. Par rapport à leur sujet, ils
augmentent même, par méthode, la distance naturelle. Jamais, pourtant, ne
se relâche un effort de compréhension, voire de sympathie, et de respect
scrupuleux, dans le cours de cette biographie, première du genre, solide et
minutieuse, au style coulant, dont la lecture passionne et inquiète. Ceci
est, en reflet d'une existence sans repos (1883-1962), un récit d'aventures
: l'aventure psychologique d'un amoureux perpétuel et chaotique, l'aventure
scientifique d'un arabisant célèbre, l'aventure politique d'un patriote
français au Proche-Orient et au Maghreb, de Lawrence à la guerre
d'Algérie, l'aventure religieuse d'un chrétien musulman, selon un
raccourci papal, l'aventure d'un mystique, au réseau tendu par la Sagesse
des intercessions et des substitutions. Louis Massignon est-il un saint?
Dieu le sait. Ses biographes ont rempli leur tache à la perfection du
métier, repérant les traces de son parcours terrestre et les prises
terribles de sa personne avec le Dieu vivant. Un devoir m'échoit, très
humblement, comme à tant d'autres qui me dépassent sous tant de rapports;
mon devoir est de proclamer : cet homme - génie, héros, victime volontaire
et martyr déçu -, Louis Massignon, fut un prophète. La calomnie
d'habitude m'a jadis exhorté, contre une dénonciation imbécile, à
persévérer dans la vraie gnose, dont nous partagions, me dit-il en somme,
le désir et le drame."
Robert Amadou, L'Autre Monde,
octobre 1994
*
Notes d'un entretien avec Robert Amadou
L'intérêt de Louis
Massignon pour Boullan - et le satanisme en général - est indéniable. Il a recueilli le
fameux "cahier rose" de Boullan, très décevant, et d'ailleurs plus
scatologique qu'érotique. Quant à Gegenbach, prêtre défroqué, - que Louis Massignon
connaissait - c'était un homme médiocre et peu intéressant finalement.
Louis Massignon a
manifesté une fidélité totale envers l'Église romaine, même s'il dut en souffrir. Mais
il est resté un esprit supérieur. Il n'a jamais appartenu à un quelconque mouvement
ésotérique. Il a acquis ses connaissances ésotériques au contact de l'Islam et de la
chrétienté orientale.
A propos de
René Guénon : fondamentalement un "védantin", qui a réussi à imposer ses vues -
être guénonien ou rien -, mais aussi un homme sincère, devenu musulman pour suivre sa
maîtresse au Caire.
Mystique et
ésotérisme sont une fausse distinction et, d'ailleurs, René Guénon ignorait tout de la
mystique chrétienne. La foi et la gnose sont inséparables - la gnose seule ne
suffit pas. Ce n'est pas sans raison que les Pères grecs parlent de "gnose
amoureuse". C'est même cela la véritable connaissance.
Prêtre de
l'Église
Melkite, Louis Massignon célébrait à Saint Julien le Pauvre à 8 heures du matin. A ce
propos Robert Amadou rapporte que Mgr Tisserant avait refusé d'incardiner Louis Massignon
en disant : "Que voulez-vous? Je ne puis incardiner un homme qui donnera comme
pénitence de jeûner le Yom Kippour ou le Ramadan!"
Lorsqu'il trace le
portrait de Louis Massignon, Robert Amadou évoque sa droiture, - sa douceur et sa
compassion, - et sa violence.
Son article sur
Marie-Antoinette [cf. "Un vœu et un destin : Marie-Antoinette, reine de
France", Parole donnée, Le Seuil, 1983, pp.182-218].
Louis Massignon a
été "l'exécuteur testamentaire" de Charles de Foucauld : ce qui n'empêche
pas Robert Amadou de partager avec quelques uns - dont Henri Guillemin - le sentiment que
l'ermite de Tamanrasset a été un "espion". Quant à T.E. Lawrence, il se
rallie à la position exprimée par Louis Massignon lui-même, dans son témoignage de
1960 ["L'entrée à Jérusalem avec Lawrence en 1917"], à savoir qu'il est un
homme qui n'a pas supporté le manquement à la parole donnée... Sa mort, ajoute-t-il, est
une sorte de "suicide".
"A la fin des années
50 et jusqu'à la fin de sa vie, Louis Massignon voulait attirer tout le monde à Anne
Catherine Emmerick [la stigmatisée de Dülmen] : elle était son modèle de
spiritualité."
Robert Amadou
recommande, enfin, la lecture des Pères grecs et surtout St Grégoire Palamas.
Une femme dira un
jour à Louis Massignon : "Méfiez-vous de Rober Amadou, c'est un gnostique!" A
quoi il répondra : "Mais, Madame, je suis moi-même un gnostique."
(Square de Cluny, 6 septembre 1991)
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