Annamalai
Swami passa l'essentiel de sa longue vie - il mourut
en 1995, à l'âge de 89 ans - au pied de la montagne
d'Arunachala, à l'ashram de
Ramana Maharshi [Bhagavan], d'abord, puis à
Palakottu, où il demeura dans la proximité de ce
dernier jusqu'à sa mort, en 1950. Avec La corde
et le serpent (2006), les éditions
Arfuyen
propose le recueil des derniers entretiens de ce
disciple de Ramana Maharshi, rapportés par David Godman.
Son enseignement introduit de manière exemplaire le
lecteur occidental à la voie de la non-dualité, la
voie métaphysique.
*
Je n'ai jamais
été un enfant sociable. Plutôt que de fréquenter les
gens du village, je recherchais les endroits isolés
pour m'asseoir et pratiquer le silence intérieur.
[...] Lorsque mon père découvrit mon intérêt pour
les questions spirituelles, il tenta de me
décourager. Il dressa de nombreux obstacles sur mon
chemin et ce ne fut que bien des années plus tard
qu'il finit par admettre que mon destin était de
devenir sadhu. [... ]
Au cours de l'année 1928 - j'avais alors vingt et un
ans -, un sadhu errant traversa le village.
Il me donna un exemplaire de Upadesa Undiyar
contenant une photo de Sri Ramana Maharshi. Dès que
je vis cette photo, j'eus le sentiment que c'était
mon Guru. Au même instant apparut en moi un ardent
désir d'aller le voir. La nuit suivante, je fis un
rêve : je vis Ramana Maharshi marcher des pentes
inférieures d'Arunachala jusqu'au vieux Hall. Arrivé
devant la porte, il se lava les pieds avec l'eau de
son pichet. Je vins vers lui, me prosternai à ses
pieds et sombrai alors dans une sorte de somme, tant
le choc de sa présence (darshana) était
intense. Alors que je gisais au sol, la bouche
ouverte, Bhagavan me versa dans la bouche de l'eau
de son pichet. Je me souviens d'avoir répété les
mots : "Mahadeva, Mahadeva" - qui est l'un
des noms de Shiva - tandis que l'eau coulait.
Pendant quelques secondes, Bhagavan me regarda
fixement, puis se retourna et entra dans le Hall.[
... ]
Je suis arrivé à Ramanasramam vers une heure de
l'après-midi. En m'approchant du Hall, une partie du
rêve que j'avais eu dans mon village se répéta en
réalité. Je vis Bhagavan descendre de la colline,
traverser l'ashram et s'arrêter devant le
Hall le temps de se laver les pieds avec l'eau de
son kamandalu [pichet]. [...]
Une dizaine de jours après mon arrivée, je demandai
à Bhagavan : « Comment éviter la souffrance?
- Connais le Soi et accroche-toi constamment à
Lui, répondit-il. Ignore le corps et le
mental, car s'y identifier crée la souffrance.
Plonge profondément dans le Coeur, et fais en ta
demeure. »
*
[Extrait]
- Comment pouvons-nous reconnaître un jnani ?
- Pour le
chercheur qui a acquis une certaine maturité, la
présence d'un jnani se reconnaît
essentiellement à ce signe : si le mental du
disciple se calme sans le moindre effort, c'est un
bon indice. Mais ce n'est pas un test valable ni
probant pour tous. Si un chercheur débutant entre en
présence d'un jnani, son mental restera
probablement aussi agité que d'ordinaire. Pour le
commun des mortels, il est très difficile de savoir
qui est un jnani et qui ne l'est pas. Il
n'existe aucun test qui fonctionne à tous les coups.
Cela me
rappelle une histoire que racontait Ramakrishna.
Assis à l'ombre d'un arbre, sur le bord d'une route,
un sadhu était en samadhi.
Un homme qui
cheminait par-là l'aperçut et pensa: « Il est
probablement ivre. » Le sadhu était agité
de légers tremblements que l'homme prit pour un
tremblement d'alcoolique. Survint un second passant,
mais le fil de ses pensées le mena à une différente
conclusion « Cet homme a l'air heureux. Il attend
sûrement sa fiancée. »
Le soleil se
couchait quand un troisième homme apparut. Il
remarqua la silhouette assise dans la pénombre et se
dit: « C'est peut-être un voleur. Sans doute se
cache-t-il sous cet arbre pour sauter sur !es
passants et les détrousser. Je ferai mieux de
l'éviter au cas où il serait dangereux. » Il fit
un petit détour à travers champs pour se sentir plus
en sécurité.
Peu après, vint
un quatrième passant. C'était un chercheur spirituel
confirmé et, dans l'ombre grandissante, il put
discerner un halo de lumière autour de la tête du
sadhu. « Il doit s'agir d'un être éveillé
», songea-t-il. Alors il s'avança vers lui et se
prosterna à ses pieds.
Les gens
perçoivent les jnani à travers le prisme
déformant de leur mental. Ils ne peuvent pas faire
autrement. Si vous portez des lunettes jaunes, tout
ce que vous verrez sera teinté de jaune. Changez la
couleur de vos verres, et ce que vous percevrez
changera aussi de couleur. Le jnani ne porte
pas de verres ni de prismes déformants susceptibles
d'obscurcir, de fragmenter ou d'altérer sa vision.
En tout, il voit Dieu, son propre Soi. |