Paracelse. Portrait par Augustin Hirschvogel
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Note d’Armel Guerne datée du 5 avril
1948.
« C'est une pensée qui m'habite beaucoup, et de plus
en plus fort, cette perspective selon laquelle
Paracelse pourrait bien avoir parlé et n'avoir parlé
que pour les temps apocalyptiques où la
civilisation devant laquelle il reste dressé,
temporellement, viendra à se débander et se défaire,
à se fracasser sur son propre principe de
contradiction, moment ignoble dans les faits, mais
exceptionnel et de haute portée mystique où la voix
d'un seul, venant à être entendue, peut apporter et
déposer les germes d'un monde nouveau fait par une
civilisation nouvelle. Or ces temps sont les nôtres,
indiscutablement, et ce moment semble venu où la
voix de Paracelse, la haute voix lancée depuis
quatre siècles, doit parvenir à ses auditores,
arriver à ses fins. Il est sûr que sous les
médiocrités de plus en plus nombreuses et lourdes
d'un poids mort capable d'entraîner à l'abîme tout
ce morceau d'histoire qui nous sépare du Moyen-Age,
le vrai, le grand humain, il est certain que sous ce
monde d'ici enlisé dans la glu des sordidités les
pires, le courant mystique augmente de jour en jour
sa force, d'autant plus nécessaire et d'autant plus
cachée. Ce ne sont pas de ridicules frontières de
pays ou de langue comme celles qui nous séparent,
Français, des Allemands, qui ont pu faire que
Paracelse célébré, édité, commenté là-bas, considéré
comme un héros national, soit ici demeuré à ce point
inconnu. Comme toujours, l'Allemagne passe la
mesure, et dans l'excès d'une soudaine notoriété
doctorale et universitaire, sous les masses de
bouquins qui l'étudient, l'analysent, l'auscultent,
l'expliquent, le paraphrasent, le discutent, le
dissèquent sous cent ou mille incidences, Paracelse
est de nouveau caché, retranché à jamais derrière
cette érudition haïe, échappant tout à fait, avec sa
vie, à cette énorme et pesante Scolastique immobile,
contre laquelle il a tant combattu avec toutes ses
armes. Mais ici, ici où il est vierge encore, ici,
où sans qu'on sache pourquoi (si l'on excepte deux
ou trois livres ridicules), personne ne s'est occupé
de lui et où nul ne le connaît, ici il peut entrer
tout debout et tout vif et réussir, avant que ne
l'étouffent les professeurs et les savants, cette
entreprise dont il fut l'extraordinaire et génial
champion. Cette entreprise de feu qui ne pouvait pas
s'accomplir réellement dans les eaux basses de la
langue allemande. »
*
LE LIEU ET LE MOMENT
« Combien de pages n’ont été écrites, et avec peine, qui
en fin de compte n’ont livré que des sottises ?
N’aurait-il pas mieux valu se dire : attends, laisse
mûrir les choses ? Qui agit de la sorte ? Celui qui
veut avoir le pain avant même d’avoir chauffé le
four ; où celui qui veut moissonner là où l’on n’a
point semé !
Ce qui est attendu de toi, ce qui est vraiment en
toi, cela naîtra en temps voulu de toi. Tu ne sauras
pas comment, ni d’où cela vient, ni où cela tend ;
mais, en fin de parcours, tu y trouveras ce que
jamais tu n’as appris ni su : tu verras le fruit. Et
personne ne saura qui le mangera, ni quand. Beaucoup
en effet sèment, d’autres moissonnent ; beaucoup
moissonnent, d’autres moulent le grain ; d’autres
encore cuisent et mangent ce qu’ils n’ont ni semé ni
moissonné. Ainsi vont les activités et les travaux
sur cette terre, sans qu’on en aperçoive l’origine
et la fin.
Chacun de nous est appelé à une tâche donnée ; et
ce serait pécher que de se livrer à ce à quoi nous
ne sommes pas appelés. S’il y a une lumière en nous,
c’est que Dieu l’y a placée, et non quelque maître
terrestre. Si donc Dieu a mis en nous cette lumière,
il fera aussi qu’elle se manifeste, qu’elle brille
et que voient clair, par elle, ceux qui souhaitent
être éclairés. Pourquoi en vouloir à Dieu s’il a mis
en nous une lumière et que, pour un temps, il la
maintient cachée ? Il la poussera dehors le moment
voulu. Elle sortira de toi, même si cela n’est ni
voulu, ni recherché, ni même su par toi ! Car s’il y
en a beaucoup qui savent écrire, il n’y en a qu’un
qui soit chancelier.
Le temps de mon message est là ; je dois écrire.
Je n’ai rien à rectifier, car je n’ai rien
corrompu : le champ n’a pas encore été labouré. Mais
tout montre que c’est l’heure du travail à
accomplir. Le temps de la géométrie est achevé, le
temps du quadrivium est terminé, le temps de la
philosophie est derrière moi, la neige de ma misère
a fondu et ce qui croissait est venu à maturité.
D’où cela vient, je ne sais ; où cela va, je ne
sais ; mais c’est là !
Si donc l’heure qui longtemps s’est fait attendre
est là, alors est là aussi le temps d’écrire –
d’écrire sur la vie bienheureuse et sur la vie
éternelle. C’est le temps du fruit. »
Paracelse |