"Il eût bien pu être des nôtres, ce mystique de Mostaganem,
le cheikh Benalioua dont Charles Le Cur nous a rapporté les propos :
"Aristote, disait-il, conçoit Dieu comme la Pensée ; la rose l'imagine comme un
parfum ; tous deux ont raison... Et le Cheikh souriait, car, musulman, il savait que Dieu
est un."
Ibn al-Arabi (1165-1240) le savait, à qui l'on doit l'admirable
tercet dont j'ai longtemps porté sur moi le texte arabe recopié de la minuscule
écriture de Louis Massignon :
"Mon cur est capable de toute forme ; c'est un pâturage
pour les gazelles et un cloître pour les moines.
"Un temple pour les idoles et la Ka'aba des pèlerins et les
tables de la Torah et le livre du Coran.
"L'amour est ma religion et ma félicité."
Et Massignon ajoutait, à son inimitable façon : "C'est beau,
mais pas assez transcendant à mon gré."
Théodore Monod, Sortie de secours, Seghers, 1991
"J'avais
cité un jour à Louis Massignon le cri bouleversant d'une grande sainte, en l'appliquant
aux animaux: "Qui leur rendra leurs larmes?" Notre ami me répond aussitôt :
"Je suis profondément avec vous dans cette compassion pour tout ce qui vit... Je
crois comme vous, qu'une réparation de justice est due à ces "âmes
mortelles", qui les immortalisera. Contrairement au cartésien géométriquement
cruel, je ne pense pas que la gazelle qui, forcée à la course, s'agenouille et pleure,
soit insensible. A elle aussi, je crois qu'on "rendra des larmes". Je me
souviens de ma dernière chasse : vexé d'avoir raté quelques proies, je visai et tuai
une alouette, et sa chute me déchire encore le cur..."
Louis Massignon, le cheikh admirable, était la compassion
incarnée, mais, comme Saint François, il n'a guère de disciples."
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