Lettre du 8 décembre 1938
Monsieur le
Secrétaire Général et cher Collègue,
Je vous connais en
effet depuis longtemps déjà indirectement et par une série d'amis communs dans l'esprit
même que le début de votre lettre souligne.
Votre lettre
m'arrive la veille même de mon départ pour la session du dictionnaire de l'Académie
Royale de langue Arabe au Caire. Je ne reviendrai que fin Février à Paris. Il me paraît
impossible de pouvoir vous donner avis sur le manuscrit en question avant mon retour.
Pardonnez-moi ce retard bien involontaire de deux mois.
Je vais emporter le
manuscrit avec moi car s'il y avait urgence, je tâcherai (sic) de le lire en
voyage, et s'il fallait vous le renvoyer, je vous le renverrai (sic) avec mon
avis.
Veuillez accepter,
Monsieur le Secrétaire Général et cher Collègue, les hommages de ma très sympathique
pensée.
Lettre du 14 mars 1939
Monsieur le
Secrétaire Général, et cher Collègue,
Rentré depuis
quinze jours de mission, je puis enfin répondre à votre demande relativement à ce très
curieux manuscrit d'un Tidjani de Bandiagara. En avez-vous plusieurs exemplaires ou
puis-je garder quelque temps encore cette copie dactylographiée qui m'intéresse.
L'auteur n'a
certainement pas rédigé tout seul cet étonnant document et le mélange très
attachant qu'il y a de traditions tidjaniennes authentiques et d'additions
"théosophiques" dûes (sic) à l'influence personnelle d'un français
(sur place vous pouvez peut-être me dire de qui il s'agit, j'ai pensé à Dupuis Yakouba,
mais il doit être trop vieux) me gêne un peu car, tout de même on ne peut présenter ni
publier comme un document soudanais autochtone un texte qui, pour toute une partie,
transforme l'arithmologie mystique traditionnelle des tidjaniens suivant une théorie
théosophique française (d'ailleurs assez banale). Ce qui me frappe et qui semble bien de
l'auteur, c'est une certaine force de pensée, une démarche dynamique et une expérience
certaine de la direction de conscience des noirs auxquels ces Peulhs s'imposent par un
ascendant intellectuel incontestable. Ceci n'est qu'une première impression et je vous
récrirai d'ailleurs plus longuement.
Merci d'avoir pensé
à moi pour cette expertise qui m'intéresse d'autant plus que je traite cette année au
Collège de France le sujet général des "congrégations musulmanes".
Bien amicalement à
vous.
Lettre du 6 juin 1939
Monsieur le
Directeur et cher Confrère,
A peine étais-je
retourné de ma mission en Orient que j'ai dû repartir en avion pour Téhéran, et
l'achèvement de mes cours me retient jusqu'à la fin de la semaine. Je tiens néanmoins
à vous renvoyer sans plus tarder le manuscrit de Hampaté Ba. Je l'ai lu très
attentivement. Nous y avons trois choses :
D'abord un effort
très intéressant, tout à fait spécifiquement tidjani, de trouver une méthode
d'apologétique musulmane adaptée à des illettrés. Utilisation de tableaux avec des
points et des cercles mnémotechniques.
2° - un goût très
prononcé pour l'arithmologie musulmane classique, et là encore, il semble dans une ligne
traditionnelle, qu'il accentue néanmoins de façon notable,
3° - enfin,
l'utilisation de mots français et de procédés européens (addition théosophique) qu'il
a certainement puisés dans des livres d'occultisme du genre de Papus, et cette partie est
la plus discutable, à la fois au point de vue originalité personnelle et au point de
vue adaptation quant aux idées qu'il veut défendre qu'aux milieux qu'il désire
atteindre.
Je souhaiterais, en
somme, si vous envisagez la publication à titre documentaire de son travail, que vous
signaliez l'inconvénient du vocabulaire théosophique qui s'épanouit dans toute la
seconde partie de son ouvrage.
Veuillez accepter,
Monsieur le Directeur et cher Confrère, les hommages de ma très fidèle et toute
sympathique pensée.
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