Le présent Guide culturel de l'Iran
n'est pas seulement un guide culturel et
touristique, il se présente plutôt comme
une mini-encyclopédie de l'Iran, par ses dimensions
(512 pages, et plus de 1300 photographies, dessins
et cartes) ainsi que par la richesse exceptionnelle
de sa documentation. Patrick Ringgenberg réalise
avec ce Guide une somme sur la civilisation
iranienne qui n'a pas d'équivalent en langue
française. On parcourra avec intérêt les chapitres
consacrés aux arts et à la culture qui témoignent de
la connaissance de l'auteur des réalités qu'il
décrit, qu'il s'agisse de l'art des jardins, de la
musique ou de la poésie, mais aussi du cinéma ou de
la cuisine, au final de tout ce qui caractérise
l'art de vivre iranien - et on saluera à
nouveau, comme dans
La peinture persane
(2006) son approche de l'intérieur des
religions de l'Iran, approche qui est celle d'un
« passeur » entre l’Orient et l’Occident.
Un autre mérite de l'ouvrage est le guide
touristique lui-même qui occupe la moitié de
l'ouvrage, d'une extrême précision. Une soixantaine
de pages d'annexes, enfin, complètent ce volume qui
devrait faire date s'il reçoit l'accueil qu'on ne
peut que souhaiter pour un travail de cette
envergure.
Brochure
à télécharger au format PDF
Addenda à l'édition 2006
(avec une sélection de liens sur l'Iran)
[Nouveau]
*
[
Extrait de la préface ]
« Pays
de contrastes rares, puissants ou subtils, l'Iran
est aussi un pays de continuité. Plus qu'un
territoire ou une nation, l'Iran est un état
d'esprit, un sens de l'homme. Son identité durable,
reconnaissable au cours des millénaires, est une
part de son mystère. Son art a toujours ébloui les
sens pour mieux faire voir des beautés plus
essentielles et invisibles. La Perse a su conserver
une relation vivante avec son passé, diffuser son
génie et ouvrir de nouvelles voies. Elle fut envahie
(par Alexandre le Grand ou les Arabes), ravagée (par
les Mongols et Tamerlan), mise sous tutelle (par les
Anglais ou les Russes), mais jamais elle ne fut
colonisée ou anéantie. Très ouvert aux influences
extérieures (de l'époque mésopotamienne à la
modernité occidentale), l'Iran n'a jamais cessé
d'être iranien, et il a iranisé tout ce qu'il a
reçu. Pays des dieux et des mystiques, la Perse fut
aussi un territoire élu. De l'Elam à l'Islam, ses
civilisations ont toujours inscrit l'homme dans un
ordre à la fois terrestre et céleste. Les montagnes
d'Iran ne sont pas seulement des amas de cailloux,
mais des frontières entre l'homme et l'Invisible,
des lieux d'apparition des dieux ou des anges. Les
oasis, diraient les soufis, sont comme le miracle de
l'Amour dans la terre brûlée de l'âme. L'histoire
spirituelle de l'Iran semble placée Sous le signe
d'une lumière qui n'a changé que pour rester
immuable. Sans doute n'est-ce pas un hasard, si,
depuis presque 3000 ans, la Perse a vénéré la
lumière divine à travers le feu du Zoroastrisme, si
elle a vu vivre quelques-uns des plus grands
mystiques de l'Islam et si, à la fin du XXe, elle a
accueilli une Révolution qui fait du gouvernement le
représentant d'un ordre invisible. Qu'il soit
sunnite ou chiite, l'Islam a trouvé en Iran des
expressions poétiques , mystiques et philosophiques
les plus hautes et les plus subtiles de son univers
religieux.
Les guides touristiques parlent trop des morts et de
la poussière des siècles, mais l’Iran est un pays
vivant, coloré, à la fois chaleureux et secret. Dans
l'amour de la poésie, dans une spiritualité complexe
et profonde, dans le goût pour les beautés de la vie
et la noblesse des relations, la culture iranienne
est un parfum et une présence qui n'a pas disparu,
et qui n'a pas été reléguée dans un passé lointain
et perdu. Elle se vit encore comme un art de l'homme
et une contemplation à fleur de peau.
Et aujourd'hui? Admirée pendant des siècles, la
culture iranienne est une grande méconnue : on cite
Darius ou Xerxès sans les connaître, la peinture
persane n'est qu'une image imprécise, on confond les
Arabes et les Persans, et l'on se souvient à peine
que le Christ enfant fut visité par des mages venant
de Perse. Si après la Révolution islamique, l'Iran
semble s'être fermé à l'Occident, l'Occident s'est
également fermé à l'Iran, oubliant tout ce que fut
la Perse et tout ce qu'est l'Iran aujourd'hui.
L'Iran ne fut jamais un pays à la mode, et on peut
souhaiter qu'il ne le devienne jamais, pour le
préserver; mais pour les amoureux de l'histoire et
de l'art, des jardins secrets et des hauts lieux de
spiritualité, la Perse demeure l'une des plus belles
(re)découvertes que l'on puisse faire aujourd'hui. »
*
[ Extraits ]
Nomades
« Avec les paysans et les citadins, les nomades sont
une composante essentielle de la société iranienne,
de sa culture et de son histoire. En 1987, l'Iran
comptait environ 1 200 000 nomades et 96 tribus. Ils
n'occupent pas les déserts, mais les montagnes, et
principalement le Zâgros. Les tribus Bakhtyâris,
Qashqâ'is, Baloutches, Turkmènes, Kurdes, Mamasâni
ou Shâhsavan vivent essentiellement de l'élevage de
moutons et de chèvres, puis de chevaux, d'ânes, de
mulets, de bœufs ou de chameaux. Ils tirent
également un revenu de petites cultures et de la
vente de tapis de laine. Chaque tribu est divisée en
clans puis en lignages ; chacune possède une
hiérarchie sociale qui lui est propre, dominée par
un chef (khan) qui rend la justice, dirige les
déplacements de la communauté et la représente
vis-à-vis de la société et du gouvernement. Pour
l'essentiel, la situation actuelle des nomades
trouve son origine au XIIIe. Devant l'invasion
mongole, des nomades en majorité turcs fuirent
d'Asie centrale en Iran, où ils modifièrent la vie
semi-nomade des populations de montagne. Dès la
dynastie qâdjâre (XVIIIe s.), les nomades forment de
véritables «états dans l'état». Ils prennent une
part croissante à la politique et aux affaires du
pays, tantôt opposants, tantôt alliés, tantôt
concurrents du pouvoir à Téhéran. Aux XIXe et XXe
siècles, les puissances occidentales ont fréquemment
manipulé les tribus pour étendre leur influence et
contrôler les événements et les rapports de force.
Sous le règne des Pahlavis, des campagnes de
sédentarisation forcée, directe ou indirecte, sont
menées, mais se soldent par des échecs. Aujourd'hui,
pourtant, les nomades sont presque tous
sédentarisés. Ils cultivent des parcelles de terre
et leurs mouvements sont principalement des
transhumances: avec leurs troupeaux et leur maigre
bagage transporté à dos d'âne, ils montent des
plaines aux montagnes au printemps et descendent des
montagnes aux plaines en automne. »
Poésie des jardins
« La végétation
a fourni aux poètes une gamme d'images, de parfums
et d'harmonies, susceptibles de traduire les
raffinements de l'âme, les profondeurs de la
sensualité ou les états mystiques. Les poètes ont
donné le titre de «jardin» (golestân ou bustân)
à leurs œuvres. La peinture persane aime
représenter une nature immatérielle de pureté, plus
édénique que naturaliste, qui semble être le visage
secret des êtres et une présence de l'Amour divin.
La rose, associée surtout à la ville de Shirâz,
résume presque toute une civilisation ou une
conscience du monde: image de l'amour, des sciences
secrètes ou des subtilités du cœur, elle est
l'insigne de la Beauté divine. Pour le soufi, la
rose de la connaissance de Dieu se cueille au milieu
des épines de l'ascèse et de la mort d'amour. Les
Qâdjârs ont aimé peindre le mariage du rossignol et
de la rose, symboles de l'amoureux et de la
bien-aimée. L'arbre est aussi une image de l'univers
(« l'Arbre du Monde ») ou de la connaissance
spirituelle qui rend immortel (« l'Arbre de Vie »).
Il symbolise l'axe de l'éternité autour duquel
tournent les mondes. Le Coran compare la parole de
Dieu à un arbre, dont la ramure céleste est portée
par des racines profondes, et qui offre des fruits
en toute saison. Arbre aimé des poètes, le cyprès
évoque un corps élancé et harmonieux. Un poète
écrivait d'une belle: «Ta taille est comme un pin
sur le rivage de la mer; le Touba [un arbre
du paradis] est jaloux de ta taille semblable au
port d’un cyprès ». D’anciens arbres, parfois
proches de mausolées de saints, sont considérés
comme sacrés : sur les branches, les gens nouent des
fragments de tissu en espérant voir leurs vœux
exaucés. »
L'Imam des chiites
« Pour le
sunnisme, l'imam est la personne qui dirige la
prière dans les mosquées et qui officie lors des
mariages et des enterrements. Mais pour les chiites,
l'Imam est la personnification et le détenteur d'une
connaissance à la fois exotérique et ésotérique. Les
douze Imams ne sont pas seulement des figures
historiques, mais des archétypes éternels de
l'Esprit. Invisibles mais toujours présents au cœur
des croyants, ils sont des guides spirituels et des
intercesseurs entre l'homme et Dieu. Les Imams sont
des initiateurs, qui possèdent un pouvoir de
sanctification et le don de révéler les
significations ultimes de la prophétie de Muhammad.
Si le Coran a révélé une parole de Dieu lisible par
tous, ce sont les Imams, et en premier lieu Ali, qui
détiennent le sens caché et vivant des versets
coraniques. Ces conceptions sont refusées par le
sunnisme qui ne peut admettre un intermédiaire entre
Dieu et l'homme et qui accentue la transcendance de
Dieu. Le calife des sunnites est une autorité
essentiellement temporelle, héritière du Prophète
comme chef de la communauté musulmane, alors que
l'Imam chiite possède une sorte de royauté sacrée et
de fonction sacerdotale. » |