ALI SHARIATI

(1933 -1977)

"Par sa vie, il [Louis Massignon ] montrait jusqu'où le cœur de l'homme est capable d'aimer." 

 

 

 

 

"Ma collaboration avec Louis Massignon, bien modeste, en vérité, a duré deux années (1960-62), pendant lesquelles il procédait des recherches sur la personnalité politique et spirituelle de Fâtima. Je l'aidais surtout dans la compilation, la traduction, l'annotation d'ouvrages en différents dialectes persans, consacrés à Fâtima. Je dois avouer que ces deux années demeurent parmi les plus enrichissantes et aussi inoubliables de ma vie, tandis que je cheminais aux côtés de ce Maître éminent."

voir MIDEO, n°21, 1994 (Michel Cuypers)

> Sur les relations entre Ali Shariati et Louis Massignon, voir Eve PIERUNEK & Yann RICHARD (sous la dir. de).-  Louis Massignon et l'Iran.-  Paris, Travaux et mémoires de l'Institut d'études iraniennes (5), 2000

 

 

 

 

[ Louis Massignon | Fâtima dans le miroir de Louis Massignon ]

 

Ali Shariati

Le philosophe iranien, mort en 1977, à Londres, fut un élève et, d'une certaine manière, un disciple de Louis Massignon. On pense en particulier à son ouvrage consacré à la fille du prophète de l'Islam, Fâtima. Leur rencontre remonte aux dernières années de la vie de l'orientaliste, et Ali Shariati, comme Herbert Mason, auront assurément apporté à Louis Massignon de grandes joies intellectuelles et spirituelles qui l'ont aidé à supporter certains abandons, selon son propre terme, de ces anciens collaborateurs et collègues, et dont Ali Shariati se fera d'ailleurs l'écho : "Ils le laissaient seul, au crépuscule de sa vie, et c'était cela qui le consumait à petit feu et brisait son cœur, un cœur comme le sien qui débordait de générosité et de foi".

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Sur Ali Shariati voir http://www.shariati.com/

"Le cours le plus remarquable du professeur Massignon, ce n'est pas à la Sorbonne ni au Collège de France que je l'ai vu, ... mais au pied des colonnes de la mosquée des musulmans de Paris. Il était assis là, avec quelques marchands de légumes et quelques malheureux ouvriers arabes algériens qui, dans la France colonialiste, avaient oublié jusqu'à leur religion et leur langue, pour leur enseigner le Coran."

"Parmi les visages, les voix, les regards, les esprits, bref, parmi les hommes de toutes sortes que j'ai vu défiler devant moi au cours des années, il en est un auquel je suis tellement attaché - j'ignorais et j'ignore toujours quelle séduction existait en lui pour me ravir ainsi - que je n'ai plus jamais pu me penser seul, indépendamment de lui. Pas plus que je ne puis m'imaginer sans mon propre visage, je ne puis me sentir ou me comprendre sans lui. Douze ans se sont écoulés depuis notre première rencontre. Son souvenir me fait souffrir tous les jours un peu plus. Je l'aime au point de sentir parfois que mon âme ne peut plus contenir mon affection pour lui, qu'elle en déborde, que mon cœur, sur le point d'éclater, n'en peut plus. Il arrive que son souvenir fasse comme refluer tout le sang de mon corps vers le cœur, où il se presse pour s'y engouffrer de force, sans y parvenir, dans une lutte impossible qui me fait souffrir. Le cœur me fait mal, ma respiration s'arrête, ma gorge se noue, mes yeux et tout mon corps devient brûlants. Cela me tourmente beaucoup ; je voudrais pouvoir pleurer un peu, pleurer à chaudes larmes, pour me soulager, mais j'ai honte qu'on me dise : "Regardez-le, cet homme respectable, en train de pleurer pour son professeur! Serais-tu un gamin du jardin d'enfants, ou une petite élève du primaire? Qu'est-ce donc que ce Massignon? Faut-il donc en faire tant de cas?..."

Je crains, j'ai peur qu'on ne me dise pareille chose, à moi, à lui, à nous... Ce serait terrible. Je crois que si un jour mes oreilles devaient entendre cela, j'en perdrais la vue et la parole, mes jambes se paralyseraient. Cela fait déjà six ans qu'il est parti. Et voici que je me traîne dans ce "sans toi" amer et douloureux, ô mon cher Massignon, mon ange incomparable. Durant ces six années, je n'ai cessé d'écrire, de parler de toi : ma plume n'a pas quitté mes doigts un seul instant. Elle est la seule compagnie qui puisse apaiser un peu en moi le vide de ton absence, qui puisse réduire l'implacable cruauté..."

"Ô Dieu, qui est infidèle? Qui est musulman? Qui est chi'ite? Qui est sunnite? Quelle est la frontière exacte qui sépare chacun d'eux?

Massignon, cet océan de science, qui s'est plongé durant 27 années entière dans la vie de Salmân, le premier fondateur historique du chi'isme en Iran, qui a poursuivi durant toute sa vie des recherches au sujet de la personnalité et de l'influence posthume de sainte Fâtima dans l'histoire des peuples, rassemblant toutes les informations dispersées au cours de l'histoire dans les sources arabes, persanes, turques, latines et même mongoles, lui dont tout l'être s'enflammait chaque fois qu'il parlait de Fâtima, de la mystique islamique ou de Salmân... un infidèle? (...)

- Ô Dieu, dis-moi, comment toi, tu vois les choses! Comment juges-tu? S'éprendre des "Noms" [ des Infaillibles, des saints Imâms ], est-ce cela le chi'isme? N'est-ce pas plutôt de connaître ceux qui portent ces noms? Ou plus encore, d'imiter leurs mœurs?"

Ces extraits sont tirés d'un ouvrage de Ali Shariati, intitulé Kavir (Le Désert), cf. Michel Cuypers, "Une rencontre mystique : 'Ali Shari'ati - Louis Massignon", in Louis Massignon et ses contemporains, Karthala, 1997