
Jean Malaurie à Shishmaref (détroit de Béring)
Photographie publiée dans
l'Express du 30
septembre 1999, en illustration de l'article de Michel Crépu, "Malaurie, roi de la
banquise"
"Le Nord l'aura
finalement emporté en lui sur le Sud, mais le silence y est de la même densité,
l'abîme de la mémoire identique. Il y a du stylite sur sa colonne brûlante chez cet
arpenteur du néant glaciaire. Un ermite qui écoute les chiens hurler devant des icebergs
hauts comme l'Empire State Building et dîne d'un d'un cuissot d'ours blanc à la lueur
d'une maigre bougie. Nous sommes à la fois chez Jack London et les anciens chroniqueurs
de l'Islande médiévale. En réalité, Jean Malaurie se montre ici le frère en
ethnologie d'un John Cowper Powys, panthéiste sauvage et vieux puritain de granit ; homme
de savoir et de fureur, une sorte de romantique en acte, à la hache, plutôt que rêveur
en chambre : aussi démesuré, aussi peu regardant à la dépense, en contact avec la
culture et les éléments de la civilisation dans la mesure où ceux-ci mettent en
relation avec les grands points cardinaux de l'esprit, les mythes et les légendes où la
société humaine se figure et se déchiffre depuis la nuit des temps."
Michel Crépu
"Je me suis attaché aux
peuples premiers parce que j'ai horreur des dogmes de l'Occident, des
grands mots en "ismes",
comme fascisme ou communisme", dit à l'AFP celui qui est aujourd'hui
directeur émérite de recherche au Centre national de la recherche
scientifique (CNRS).
Jean Malaurie a passé dix ans de sa vie dans
l'Arctique en trente missions. "Je suis nomade, je flaire, je note
tout, puis je deviens sédentaire, citoyen parmi d'autres, vêtu d'une
peau de bête. Je mange comme eux, je n'ai d'ailleurs jamais attrapé de
maladies", précise-t-il.
Il explique "s'être attaché au
chamanisme", cette croyance aux esprits et en certaines pratiques
divinatoires. "Il m'est parfois impossible de faire comprendre que
ces peuples ont une pensée égale à la nôtre", dit-il en
soulignant que le Malien qui balaye ma rue a une bibliothèque dans sa
tête". "Le sacré me touche et ces peuples sont affamés de
sacré mais n'ont pas l'outrecuidance de la transformer en dogme",
poursuit-il.
Pour montrer au profane la terrible solitude de
l'Arctique, Jean Malaurie quitte sa chaise en dépliant sa grande
carcasse. Il imite alors le chasseur d'ours, à demi-courbé sur son
traîneau, scrutant, les yeux plissés, un horizon sans fin, fait
"d'immenses déserts que notre rage de conquérant menace dans son
intégrité". AFP, 7 octobre 99
LES COUPS DE CŒURS DE JEAN MALAURIE
Bernanos
"Sur le mur de son appartement, une photographie
de l'écrivain et une phrase écrite de sa main : "Quand l'homme s'est proposé le
plaisir pour fin, il commence par se fuir. La volupté est d'abord une évasion."
"L'homme que j'aurais aimé rencontrer, explique Malaurie, c'est celui des Grands
Cimetières sous la lune. Ce n'est pas un homme installé, mais un être qui a le
sens de la grandeur, qui est en recherche, susceptible de demeurer éveillé à 3 heures
du matin pour se demander : "Qui suis-je?" Les
pastels qu'il réalise
"Je suis encore très débutant : j'ai commencé
il y a très peu d'années, lors d'un séjour à Thulé. C'était très difficile : l'eau,
la glace, la lumière qui change tout le temps... Les Inuit me regardaient faire de loin ;
Je suis très timide avec eux, et ce n'est qu'au bout de dix jours que je suis allé dans
leur igloo pour leur montrer le résultat. Et dans leurs yeux, j'ai lu qu'ils se disaient: il a osé, c'est bien. Eux, ce sont des tachistes, il y a du Turner, du Nicolas de
Staël en eux. C'est étrange, ce qui se passe alors : j'ai des idées, je compose, mais
cela vient peu à peu, au bout des doigts. C'est une activité très sensuelle."
Bonaparte en Égypte
"Ce n'est pas de Napoléon qu'il s'agit, mais bien de
Bonaparte, de l'homme de l'An II, sur le pont de son bateau, à la tête de sa flotte de
200 navires partis pour l'Égypte avec, à leur bord, des chercheurs, des écrivains, des
scientifiques... Au total, un tiers de toute l'intelligence française, susceptible de
disparaître d'un seul coup au fond des eaux"
Un article de Nathalie Crom, La Croix,
2-3 octobre 1999
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