> Le Zohar
Voir La Kabbale
De la voie ésotérique, le Zohar ou Livre de la Splendeur
dont l’auteur est vraisemblablement Moïse de Léon (fin du 13ème
siècle), nous donne une première illustration. L’ésotérisme hébraïque
tient que « toute la Lumière que Dieu a donnée à Israël, se cache dans la
Torah » et aussi que la Kabbale est « l’essence doctrinale de la Torah ».
Or, c’est à une pérégrination
à l’intérieur de la Torah, à une ascension d’Orients successifs, que la
Kabbale invite ces pèlerins de l’esprit que le Zohar nomment les
« amants de la Torah » :
« Ses récits qui rapportent
des choses du monde composent l’habit qui couvre le corps de la Torah. Et
ce corps est formé des préceptes de la Torah. Les hommes sans entendement
ne voient que les récits, les vêtements; ceux qui ont un peu plus de
sagesse voient également le corps. Mais les véritables sages, ceux qui
servent le Roi Très-Haut, ceux qui se tenaient au Mont Sinaï, pénètrent
jusqu’à l’âme, jusqu’à la Torah véritable qui est la racine fondamentale
de tout. Au temps futurs, il leur sera accordé de pénétrer jusqu’à l’âme
même de l’âme de la Torah.
Voyez maintenant comme il en
va de même dans le monde céleste, avec le vêtement, le corps, l’âme et
l’âme supérieure. Les vêtements extérieurs sont les cieux et tout ce
qu’ils contiennent ; le corps est la communauté d’Israël, et c’est le vase
de l’âme, à savoir de « la gloire d’Israël ». Et l’âme de l’âme est
l’Ancien Saint. Et tout est conjoint, un degré dans l’autre. »
> Sohravardî
Voir Henry Corbin
On trouvera un autre exemple de cette voie ésotérique dans le Récit de
l’Exil occidental du philosophe persan Sohravardî (1155-1191).
De ce récit initiatique, on
retiendra l’appel à se détourner de l’occident de notre monde terrestre
pour marcher en direction de son horizon oriental : « Si tu veux te
délivrer en même temps que ton frère, ne tardez pas à vous résoudre au
voyage » (12), mais aussi l’ascension périlleuse, et obscure, jusqu’au
terme de cette première étape qui aboutit à la Source de la Vie :
« Je sortis des grottes et
des cavernes, et j’en finis avec les vestibules : je me dirigeais droit
vers la Source de la Vie. Voici que j’aperçus les poissons qui étaient
rassemblés en la Source de la Vie, jouissant du calme et de la douceur à
l’ombre de la Cime sublime. « Cette haute montagne, demandai-je, qu’elle
est-elle donc ? Et qu’est ce que ce Grand Rocher ? » (37)
Commence alors la seconde
étape, l’ascension du Sinaï mystique, de ce « Grand Rocher », selon
Sohravardî, auquel il est difficile de ne pas associer le Mont Carmel de
Saint Jean de la Croix.
« Puis je fis l’ascension de
la montagne, écrit-il. Et voici que j’aperçus notre père à la façon
d’un Grand Sage, si grand que les Cieux et la Terre étaient près de se
fendre sous l’épiphanie de sa lumière » (39).
L’intérêt de ce Récit de
l’exil occidental réside également dans la manière dont le « retour » est
vécu par le pèlerin de l’esprit, avant que la mort ne vienne le délivrer
tout à fait. Il lui est promis ceci : « Il te sera possible de revenir de
nouveau vers nous et de monter facilement jusqu’à notre paradis, quand tu
le voudras » (41). A cette première promesse s’ajoute celle-ci : « C’est
que tu finiras par être délivré totalement ; tu viendras te joindre à
nous, en abandonnant complètement et pour toujours le pays occidental »
(41).
> Novalis
> La vie et l'œuvre du poète romantique allemand Novalis
Pour en terminer avec cette géographique
spirituelle, on mentionnera l’œuvre du poète
romantique allemand Novalis et plus particulièrement
trois termes – La lumière – la Nuit – l’Éther – qui
renseignent très exactement sur la voie ésotérique
et sa géosophie : La lumière, ou le monde de la
lumière, correspond à l’Occident, à notre monde
terrestre, la Nuit à la Terre céleste, au Monde de
l’Ame, et l’Éther, enfin, au Monde au-delà des
mondes, au Ciel proprement dit.
Des Disciples à Saïs aux Hymnes à la Nuit
et à Henri d’Ofterdingen, qui sont les trois
principales œuvres du poète, mort à l’âge de 29 ans,
il est aisé de suivre les différentes étapes de son
initiation, de son salut qu’il trouvera dans la Nuit
et de sa délivrance à l’extrémité orientale de ce
que nous appelons le Monde de l’âme.
Il y a tout d’abord ce monde terrestre où nous vivons et où nous
mourrons qui est notre « exil » et qui est réellement un « occident »
par rapport à un « orient » qui est, lui, notre vraie patrie. C’est ce
monde qu’il faut quitter lorsque l’on reçoit l’Appel à se mettre en
marche vers l’Orient. Commence alors un pèlerinage, une sorte de quête
nostalgique de ce monde « oriental » qui nous est familier, en quelque
sorte parce que nous y avons vécu, parce que nous en venons. De ce
pèlerinage vers l’Orient, Novalis nous dit ce qu’il fut, d’après sa
propre expérience après la mort de sa bien-aimée Sophie, à l’âge de 15
ans : « Lointain et harassant fut mon pèlerinage au Saint-Tombeau, et
pesante, la Croix » (Hymnes à la Nuit, IV). Enfin, c’est une
ascension, « vers le Haut », comme dit Goethe, vers cet Orient de l’âme
qui est l’horizon de l’âme parvenue, au terme de son itinéraire
initiatique à son Orient. C’est bien ce qu’exprime Novalis, d’une part
lorsqu’il écrit : « Je le sais à présent, quand se fera le dernier
matin : - lorsque la Nuit et l’Amour ne seront plus effarouchés par la
lumière », et, d’autre part, quand il annonce, à propos de Henri
d’Ofterdingen : « Il faut voir dans mon roman l'antipathie envers la
lumière et l'ombre, la nostalgie de l'Éther clair, chaud et pénétrant »
(18 juin 1800). Cet « Éther » appartient au Monde au-delà des mondes, à
l’Orient du Monde de l’âme, tout de même que « le ciel de la Nuit et sa
lumière, la Bien-aimée », participent du monde intermédiaire, le Monde
de l’âme.
Ce qui paraît exemplaire dans l’expérience intérieure de Novalis, c’est
que le retour de l’Orient de l’initié n’est pas vécu comme un « exil
occidental », mais que le monde terrestre où l’initié est forcé de
revenir s’en trouve transfiguré. Autrement dit, l’initié a
désormais ses racines dans le Ciel, si l’on peut dire, et lorsqu’il
retourne dans le monde terrestre, il accomplit finalement une descente –
qui est exactement équivalente à l’ascension de l’initié en direction de
la Terre céleste – car les Ames célestes aussi sont descendues du
monde des Intelligences pour peupler le monde des âmes : « Un homme
qui devient esprit, c’est en même temps un esprit qui devient corps.
Cette sorte supérieure de mort, si j’ose m’exprimer ainsi, n’a rien à
voir ni à faire avec la mort ordinaire : ce sera quelque chose que nous
pouvons appeler
transfiguration » (frag. 65 des Etudes de Freiberg). Pour l’initié, le
monde terrestre devient donc un monde transfiguré par
l’expérience même de son ascension vers l’Orient de la Terre céleste :
« Celui à qui il est devenu clair, un jour, que le monde
est le
Royaume de Dieu, celui que cette immense conviction a pénétré une fois
de sa plénitude infinie : celui-là s’en ira consolé dans les sombres
chemins de la vie et en regardera les orages et les périls avec une
profonde sérénité divine » (16 avril 1800).
©2002,
Jean Moncelon
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