"Un jour que je
versais amèrement des larmes, que défaite en douleur, mon espérance allait s'évanouir,
- et j'étais solitaire, debout près de ce tertre aride qui, dans son lieu obscur et
resserré, détenait l'être de ma vie - solitaire comme aucun solitaire n'avait jamais
été - oppressé d'une angoisse indicible, à bout de force, plus rien qu'un souffle de
détresse... Comme alors je quêtais des yeux quelque secours, ne pouvant avancer ni
reculer non plus, un immense regret me retenait à la vie qui fuyait, s'éteignait; -
alors, du fond des bleus lointains, de ces hauteurs de ma félicité ancienne, vint un
frisson crépusculaire, - et par un coup se rompit le lien natal : la chaîne de la
lumière.
Loin s'est enfuie la terrestre
splendeur, et avec elle ma désolation : - le flot de la mélancolie est allé se
résoudre en un nouveau, un insondable monde. O nocturne enthousiasme, toi le sommeil du
ciel, tu m'emportas : - le site s'enlevait doucement en hauteur, et sur le paysage
flottait mon esprit libéré de ses liens, né à nouveau. Le tertre n'était plus qu'un
nuage de poussière, que transperçait mon regard pour contempler la radieuse
transfiguration de la bien-aimée. L'éternité reposait en ses yeux - j'étreignis ses
mains, et ce fut un étincellent, un indéfectible lien que nous firent les larmes. Les
millénaires passaient au loin comme un orage. Et ce furent des larmes d'extase que je
versai sur son épaule, au seuil de la vie nouvelle.
Ce fut là le premier, l'unique
rêve, - et depuis lors, à jamais, je sens en moi une foi éternelle, immuable, en le
ciel de la Nuit et sa lumière, la Bien-Aimée."
(Traduction Armel Guerne)
"Jadis, comme je
pleurais d'amères larmes, comme mon espérance s'était fondue en douleur et
comme je me tenais debout, seul, auprès du tertre dénudé qui contenait, dans
sa profondeur étroite et obscure, la forme de ma Vie ; seul comme ne fut
jamais aucun solitaire, poussé par une inexprimable angoisse, sans force, et
n'étant plus rien qu'une pensée de détresse ; comme je cherchais des yeux un
secours, sans pouvoir avancer ni reculer, et me retenant avec une infinie
langueur à cette vie qui me fuyait et s'éteignait, - alors descendit des
espaces bleus, des cimes de mon ancienne félicité, un frisson crépusculaire,
et le lien de la naissance, - les chaînes de la Lumière, se rompirent d'un
seul coup. La splendeur terrestre s'évanouit, et mon deuil avec elle ; la
mélancolie reflua dans un monde insondable et nouveau. Extase nocturne,
sommeil céleste, tu descendis vers moi ; le paysage s'éleva doucement ;
au-dessus du paysage plana mon esprit délivré, régénéré. Le tertre devint un
nuage, au travers duquel j'aperçus les traits transfigurés de la Bien-Aimée.
En ses yeux reposait l'éternité ; je pris ses mains, et les larmes firent
entre nous un lien lumineux, indéchirable. Au loin, les siècles reculaient
comme des ouragans. A son cou, je pleurais sur ma vie nouvelle des larmes de
ravissement. Ce fut le premier, le seul Rêve, et depuis lors j'ai mis une
confiance éternelle et irréductible dans le Ciel de la Nuit, et dans sa
lumière, la Bien-Aimée."
(Traduction
Germaine Claretie) |