HYMNES A LA NUIT

Hymne VI

 

SOMMAIRE

Hymnes à la Nuit

Le 1er Hymne ; Le 3ème Hymne ; Le 4ème Hymne ; Le 5ème Hymne ; Le 6ème Hymne

 

Retour à Anthologie - Gustave Roud - Novalis, Un absent au monde

 

(Traduction Gustave Roud)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                       Nostalgie de la mort

Descendons au sein de la terre,

Venez, fuyons le royaume du Jour !

Le rude assaut des souffrances amères

Est ton signal, gai départ sans retour !

D’un trait vers les cieux et leur rive

S’élance notre barque étroite et vive.

 

Louange à la Nuit éternelle !

Louange à l’éternel sommeil !

Nous sommes las du Jour, de sa brûlure,

Et tout flétris de notre long tourment.

Le charme a fui de la terre étrangère :

Entrons dans la demeure, auprès du Père.

 

Cœurs pleins d’amour et de fidélité,

Quelle tâche ici nous appelle ?

Ce monde rit des choses du passé :

Que valent pour nous les nouvelles ?

O solitude, ô sombre désarroi

De qui porte amour au temps d’autrefois !

 

Les temps passés où comme un brasier d’or

Les sens brûlaient en hautes flammes claires,

Où les hommes reconnaissaient encor

Le visage et la main du Père,

Où maint d’entre eux, candide et noble cœur,

Gardait un reflet de son créateur.

 

Les temps passés où des antiques races

Brillait encor la riche floraison,

Où des enfants dans les tourments profonds

Cherchaient la mort, promesse du Royaume ;

Où la vie et les sens parlaient en vain

A maint cœur brisé par l’amour divin.

 

Les temps passés où l’on vit Dieu lui-même,

Manifesté dans sa jeune splendeur,

Vouer à la précoce mort, suprême

Élan d’amour, sa douce vie en fleur,

N’ayant point repoussé la coupe amère

Afin que cette mort nous fût plus chère.

 

Nos yeux brûlés d’angoisse et de regret

Pleurent ces temps perdus dans la ténèbre.

Rien ici-bas n’apaisera jamais

L’ardente soif en nous comme une fièvre.

Pour vous revoir encore, ô temps bénis,

Reprenons le chemin du cher Pays.

 

Ah ! pourquoi retarder notre retour ?

Depuis longtemps nos bien-aimés reposent.

Leur tombe clôt la course de nos jours,

La douleur vient, et le souci morose.

Poursuivre notre quête – que nous sert ?

Nos cœurs sont las, ce monde est un désert.

 

Illimité, mystérieux,

Un doux frisson traverse tout notre être.

J’ai cru surprendre au plus profond des cieux

L’écho lointain de nos tristesses :

Murmure, appel, nostalgique soupir

Des bien-aimés là-bas pleins de désir.

 

Descendons vers la tendre Fiancée,

Vers notre Bien-Aimé, Jésus –

Venez, l’ombre du soir s’est éployée,

Douce aux amants par le deuil abattus…

Un rêve rompt notre chaîne dernière

Et son aile nous plonge au sein du Père.