Lorsque Théodore Monod arrive à Dakar, le 14 juillet 1938, l’Institut
Français d’Afrique Noire n’existe que sur le papier : « Il n’y
avait pas de personnel, pas de budget, rien ». Il obtient cependant la
collaboration d’un chercheur béninois, Alexandre Adanbé, et organise le
travail. Sa famille le rejoint et puis il est mobilisé pendant un an, dans le
Tibesti, plus exactement à Aozou, « le tout dernier poste au nord de l’Afrique
Équatoriale Française, sur la frontière de Libye. » Comme on pouvait
s’y attendre cette affectation fut surtout l’occasion pour Théodore Monod d ‘expéditions
dans le désert : relevés de pistes, de points d’eau, découverte d’un
important gisement d’amazonite, ascension d’un sommet du Tibesti, l’Emi
Koussi, à 3415 mètres. Comme il souhaite explorer un volcan qui se trouve en
territoire italien, il en demande l’autorisation « à l’ennemi ».
Son message télégraphique est intercepté et les autorités militaires françaises
l’expulsent… Retour à Dakar, donc, mais la route est longue du Tibesti à
l’Atlantique et il en profite pour explorer un nouveau volcan, le Toussidé
(3315 m) – cf. Flore et végétation du Tibesti.
De
retour à Dakar, tout est à recommencer, et Théodore Monod réactive ce
qu’il a nommé ses « Centrifran » qui sont des antennes de l’IFAN
dans les pays qui composent l’A.O.F. (Côte d’Ivoire, Guinée, Sénégal,
etc.). Mais la reprise en main de l’IFAN s’effectue aussi dans le contexte
de la France vaincue. Si Théodore Monod parvient progressivement à faire
revivre l’IFAN, il s’engage aussi dans un combat plus personnel. « Nul
n’ignorait que, personnellement, je n’étais pas particulièrement partisan
du régime de l’État français de Vichy ». C’est le moins qu’on
puisse dire et Théodore Monod n’hésite pas à refuser de prêter serment au
maréchal Pétain à qui il écrit : « J’ai l’honneur de
vous faire connaître que pour des motifs de conscience, je puis même dire des
motifs d’ordre religieux et pourtant hautement sacrées, il ne m’est pas
possible de prononcer en toute liberté d’esprit ce serment de fidélité au
chef de l’Etat, démarche trop grave pour être accomplie sans en mesurer
toute la portée, sans en peser la signification ». Mais surtout, tous
les lundis, d’octobre 40 à octobre 41, il anime une émission pour
Radio-Dakar. Ces chroniques hebdomadaires qui seront réunies plus tard en un
volume, en partie censuré, en 1943,
ne manquent pas d’audace et de liberté de parole, lorsque sont abordés des
thèmes d’actualité comme celui de la race : « Le mot « race »
exprime un fait matériel, zoologique, et ne saurait être détourné de son
seul sens véritable », « Quant au problème aryen, il ne concerne
que l’histoire des langues aryennes, et n’existe pas pour
l’anthropologiste… » Les émissions s’arrêtent en 1941 :
« On m’a permis de dire ce que je voulais, jusqu’au jour où l’on
m’a demandé quand même de changer quelques petites choses. »
Rapidement
Théodore Monod devient le président de la France combattante au Sénégal,
fonde, en 1943, les Forces Fraternitaires Françaises, « mouvement de résistance
locale », diffuse clandestinement le célèbre Silence de la mer de
Vercors, signe de nombreux articles dans la presse de la France combattante (par
exemple Notre Combat) et reçoit finalement le Général de Gaulle à sa
première visite en Afrique de l’Ouest en janvier 1944 : « Au nom
de la fédération d’AOF de la France combattante, j’ai l’honneur de vous
souhaiter la bien venue… » Mais l’année 1943 sera particulièrement
douloureuse pour lui, son père mourant à Paris cette année-là et toute la
famille de sa femme étant déportée. Il n’y aura aucun survivant, sauf une sœur
d’Olga qui s’était réfugiée en Palestine en 1938.
L’IFAN
compte trois départements : Sciences naturelles, Sciences de l’homme et
Géographie. C’est à ce département que reviendra la réalisation d’un Atlas
international de l’Afrique de l’Ouest - « qui traitait aussi bien
de la végétation que de la faune ou des populations, etc. ». Mais l’IFAN,
ce sont aussi des centaines de publications scientifiques, un Bulletin,
la création de deux musées à Gorée (Sénégal), le Musée de la Mer et le
musée des Esclaves, ce sont enfin des dizaines de conférences réunissant tous
les deux ou trois ans l’ensemble des chercheurs de l’Afrique occidentale.
L’indépendance
des États africains, à partir de 1960 ne remettra pas en cause l’IFAN, à
ceci près qu’il devra changer de nom et de statut. L’IFAN sera finalement
intégré à l’Université de Dakar et portera désormais le nom d’Institut
Fondamental d’Afrique Noire. Il est à noter que Théodore Monod avait pensé
un instant à l’adjectif « farfelu » pour remplacer le « français »
d’origine.
En 1963, Théodore Monod est élu à l’Académie des Sciences. Cette
nomination le pousse à demander un successeur à la tête de l’IFAN. Ce sera
Vincent Monteil qui était directeur du Département Islam depuis 1959. Vincent
Monteil, disciple de Louis Massignon, et dernier survivant de cette époque, a
raconté ses années à Dakar dans un ouvrage malheureusement épuisé, Soldat
de fortune.
Théodore Monod quittera donc Dakar et d’une certaine manière l’Afrique en
1965, non sans quelque nostalgie, mais avec aussi une conviction qu’il gardera
jusqu’à la fin de sa vie : « L’Occident c’est
l’individualisme. L’Afrique c’est le groupe. Ces deux systèmes ne sont
pas compatibles. L’un est hélas en train de détruire l’autre ».
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