PHILIPP OTTO RUNGE

Les heures du jour

« Ces quatre tableaux, dans leur ensemble et avec tout ce qui peut en résulter, en bref une fois développés, produiront une poésie picturale abstraite, une fantaisie musicale avec chœurs, une composition des trois arts, à laquelle l’architecture devrait ériger – un monument particulier » (22 février 1803)

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La Nuit

 

Le Jour

« Les Heures du jour. - On voit, dans la partie inférieure du premier panneau, un léger brouillard duquel surgit une grande fleur de lys. Quatre tiges forment de chaque côté des arcs descendants, portant sur leurs bourgeons quatre enfants musiciens. Des roses et des fleurs multicolores s'échappent de ces bourgeons ouverts, imprégnant de leurs couleurs le brouillard traversé. Le lys épanoui dresse, au centre du tableau, sa clarté lumineuse. Un enfant est assis sur chaque sépale du calice. Les deux du milieu se tiennent au premier plan, bras dans les bras, yeux dans les yeux. Ceux de gauche regardent dans le calice, ceux de droite contemplent, en haut, les filets des étamines où trois enfants sont enlacés, tenant haut le pistil de la fleur qui supporte Vénus, l'étoile du matin. Celle-ci sera peinte en doré. Le bleu profond du c'el s'éclaircira en allant vers le brouillard, faisant apparaître l'ensemble du lys et des enfants dans une grande lumière. Des nuages aux bords lumineux descendront de part et d'autre. Le chromatisme se concentrera dans la partie inférieure, laissant deviner un lever de soleil. La fleur de lys symbolise la lumière.  De par leur disposition, les trois groupes se rapportent à la Trinité. Vénus est le pistil ou le foyer lumineux, auquel j'ai intentionnellement donné sa configuration stellaire. De même qu'ici la lumière chasse la couleur, de même dans l'autre volet c'est la couleur qui engloutira la lumière. Ce second tableau est celui du Soir.

 

 

          La fleur de lys s'enfonce ici dans les nuages. Les deux enfants du milieu se jettent dans les bras l'un de l'autre en s'embrassant. Les deux de gauche glissent dans le calice. Ceux de droite attirent en bas ceux qui se trouvaient sur le filet des étamines. Vénus, elle aussi, descend. Les relations se resserrent. De légers nuages enveloppent le lys, et de part et d'autre de l'horizon éclosent deux roses tout épanouies. Celle de droite porte un garçon au trombone, celle de gauche un garçon à la trompettes tous deux écartant les pétales sous leurs pieds. Les rosiers grimpants s'embrasent à la hauteur de Vénus, où un couple d'enfants, sur des bourgeons, joue de la musique. Au sommet de l'arc, les bourgeons virent au rouge sombre et se touchent au centre, reflétant en eux le baiser échangé plus bas. Sur ces bourgeons deux enfants à la flûte couronnent ce coucher de soleil. Entre eux se dresse un pavot, et comme en bas le mouvement se faisait des bords vers le centre, ici le pavot trace en l'air de grands arcs. La lumière prend ici la froideur des feuilles vertes du pavot. Deux enfants, assis sur ces arcs, jouent du cor de chasse. Des pavots aux deux enfants endormis, retombent. Une grande silhouette voilée, surmontée de la lune, s'élance à partir du centre. - Ces deux tableaux ne visent à exprimer que la conception la plus haute du lys et de la rose, ils énoncent la pure couleur rouge.  Les deux suivants exprimeront le bleu et le jaune. Le bleu est, selon ma vision des choses, le symbole du jour, le jaune le symbole de la nuit. Je remets à plus tard la description du Jour, que je n'ai pas encore dessiné. Quant à la Nuit, voici comment je l'ai représentée :

 

          Dans la partie centrale inférieure, un héliotrope ouvert d'où partent, de chaque côté, des lys orangés. Au-dessus de l'héliotrope étincellent de petits asters jaunes. Encore au-dessus, des chélidoines, de couleur feu. Deux buissons de juliennes, tels une vapeur, couronnent ces flammes, de part et d'autre. - Au-dessus de cette vapeur, deux anges en vol occupent le milieu du tableau. Dans le bas, deux groupes symétriques d'enfants endormis. Deux dormeurs au fond, dans l'obscurité, où des auricules ouvrent leurs yeux de hulottes, et des digitales semblent bouder.  Puis des géraniums, des chardons, toutes sortes de fleurs étranges. - Au centre du tableau une silhouette féminine, la Nuit, sort à son tour d'un pavot. Les pavots forment, de part et d'autre, un grand arc. Quatre d'entre eux à droite, quatre à gauche, sont inclinés vers l'avant, chacun portant un petit enfant qui regarde calmement, droit devant soi. Tous apparaissent de face. Une étoile est posée sur chaque tête, et cette régularité, en haut du tableau, donne l'impression de la voûte céleste. - Dans le Jour, la fleur de lys réapparaît, mais dépourvue de figure, car le soleil ne peut être regardé directement que le soir et le matin, c'est-à-dire lorsque la couleur rouge rapproche la terre de la lumière. On comprendra que j'aie pris le bleu pour symbole du jour, le jaune pour symbole de la nuit. - Tu vois qu'en allégeant au maximum la décoration, j'ai produit ma composition la plus grande à cette heure. Ces quatre panneaux sont, en effet, partie d’un tout. Je les ai travaillés comme une symphonie. A partir des quatre idées principales et du tout, je réaliserai sans peine leur unité au moyen d’arabesques légères. »

          Lettre à Johann Daniel, 30 janvier 1803

 

« Si je ne l'ai pas écrit dimanche, c'est que je n'ai pas voulu interrompre mon travail et que j'ai réussi à terminer le Jour. Je vais te dire quelle a été mon angoisse, mais je ne l'ai moi-même pas comprise. Le Jour a été une naissance difficile. « Quand l'enfant paraît, le temps n'est plus à l'angoisse, mais à la joie ». - J'ai ceint la fleur de lys d'une couronne de bleuets. Le jour, nous ne regardons pas le soleil. Nous sommes à l'intérieur même du tableau. Nous nous réjouissons de la vie de la terre, notre mère bien-aimée, de sa profusion et de ses dons. C'est pourquoi la mère est assise en bas sous une tonnelle rehaussée d'abricots, de groseilles, de prunes et de raisins. A ses pieds jaillit l'eau vive. Devant elle, le jeune homme et la jeune femme se séparent pour travailler et vivre le jour, tandis qu'entre eux fleurissent deux myosotis. De part et d'autre de ces figures, on aperçoit des orties. De chaque côté un enfant cueille une violette. Penché, il cherche des yeux son comparse. Plus loin un grand chardon, et devant lui une clochette (de l'autre côté, une jacinthe) dont un enfant semble jouer. Derrière la tonnelle jaillit un iris bleu, dont le jonc repasse au-dessus, avec, au milieu de cette fleur, deux enfants partageant leur repas. A l'arrière-plan, du côté de la femme une fleur de lin, du côté de l'homme des épis de blé. - J'ai maintenant résolu la plus grande difficulté de ces tableaux, la cohésion pure. Les cadres viendront d’eux-mêmes. »