« Les Heures du jour. - On voit, dans la
partie inférieure du premier panneau, un léger
brouillard duquel surgit une grande fleur de lys.
Quatre tiges forment de chaque côté des arcs
descendants, portant sur leurs bourgeons quatre
enfants musiciens. Des roses et des fleurs
multicolores s'échappent de ces bourgeons ouverts,
imprégnant de leurs couleurs le brouillard traversé.
Le lys épanoui dresse, au centre du tableau, sa
clarté lumineuse. Un enfant est assis sur chaque
sépale du calice. Les deux du milieu se tiennent au
premier plan, bras dans les bras, yeux dans les
yeux. Ceux de gauche regardent dans le calice, ceux
de droite contemplent, en haut, les filets des
étamines où trois enfants sont enlacés, tenant haut
le pistil de la fleur qui supporte Vénus, l'étoile
du matin. Celle-ci sera peinte en doré. Le bleu
profond du c'el s'éclaircira en allant vers le
brouillard, faisant apparaître l'ensemble du lys et
des enfants dans une grande lumière. Des nuages aux
bords lumineux descendront de part et d'autre. Le
chromatisme se concentrera dans la partie
inférieure, laissant deviner un lever de soleil. La
fleur de lys symbolise la lumière. De par leur
disposition, les trois groupes se rapportent à la
Trinité. Vénus est le pistil ou le foyer lumineux,
auquel j'ai intentionnellement donné sa
configuration stellaire. De même qu'ici la lumière
chasse la couleur, de même dans l'autre volet c'est
la couleur qui engloutira la lumière. Ce second
tableau est celui du Soir.
La fleur de lys s'enfonce ici dans les
nuages. Les deux enfants du milieu se jettent dans
les bras l'un de l'autre en s'embrassant. Les deux
de gauche glissent dans le calice. Ceux de droite
attirent en bas ceux qui se trouvaient sur le filet
des étamines. Vénus, elle aussi, descend. Les
relations se resserrent. De légers nuages
enveloppent le lys, et de part et d'autre de
l'horizon éclosent deux roses tout épanouies. Celle
de droite porte un garçon au trombone, celle de
gauche un garçon à la trompettes tous deux écartant
les pétales sous leurs pieds. Les rosiers grimpants
s'embrasent à la hauteur de Vénus, où un couple
d'enfants, sur des bourgeons, joue de la musique. Au
sommet de l'arc, les bourgeons virent au rouge
sombre et se touchent au centre, reflétant en eux le
baiser échangé plus bas. Sur ces bourgeons deux
enfants à la flûte couronnent ce coucher de soleil.
Entre eux se dresse un pavot, et comme en bas le
mouvement se faisait des bords vers le centre, ici
le pavot trace en l'air de grands arcs. La lumière
prend ici la froideur des feuilles vertes du pavot.
Deux enfants, assis sur ces arcs, jouent du cor de
chasse. Des pavots aux deux enfants endormis,
retombent. Une grande silhouette voilée, surmontée
de la lune, s'élance à partir du centre. - Ces deux
tableaux ne visent à exprimer que la conception la
plus haute du lys et de la rose, ils énoncent la
pure couleur rouge. Les deux suivants exprimeront
le bleu et le jaune. Le bleu est, selon ma vision
des choses, le symbole du jour, le jaune le symbole
de la nuit. Je remets à plus tard la description du
Jour, que je n'ai pas encore dessiné. Quant à
la Nuit, voici comment je l'ai représentée :
Dans la partie centrale inférieure, un
héliotrope ouvert d'où partent, de chaque côté, des
lys orangés. Au-dessus de l'héliotrope étincellent
de petits asters jaunes. Encore au-dessus, des
chélidoines, de couleur feu. Deux buissons de
juliennes, tels une vapeur, couronnent ces flammes,
de part et d'autre. - Au-dessus de cette vapeur,
deux anges en vol occupent le milieu du tableau.
Dans le bas, deux groupes symétriques d'enfants
endormis. Deux dormeurs au fond, dans l'obscurité,
où des auricules ouvrent leurs yeux de hulottes, et
des digitales semblent bouder. Puis des géraniums,
des chardons, toutes sortes de fleurs étranges. - Au
centre du tableau une silhouette féminine, la Nuit,
sort à son tour d'un pavot. Les pavots forment, de
part et d'autre, un grand arc. Quatre d'entre eux à
droite, quatre à gauche, sont inclinés vers l'avant,
chacun portant un petit enfant qui regarde
calmement, droit devant soi. Tous apparaissent de
face. Une étoile est posée sur chaque tête, et cette
régularité, en haut du tableau, donne l'impression
de la voûte céleste. - Dans le Jour, la fleur
de lys réapparaît, mais dépourvue de figure, car le
soleil ne peut être regardé directement que le soir
et le matin, c'est-à-dire lorsque la couleur rouge
rapproche la terre de la lumière. On comprendra que
j'aie pris le bleu pour symbole du jour, le jaune
pour symbole de la nuit. - Tu vois qu'en allégeant
au maximum la décoration, j'ai produit ma
composition la plus grande à cette heure. Ces quatre
panneaux sont, en effet, partie d’un tout. Je les ai
travaillés comme une symphonie. A partir des quatre
idées principales et du tout, je réaliserai sans
peine leur unité au moyen d’arabesques légères. »
Lettre à Johann Daniel, 30 janvier 1803
« Si
je ne l'ai pas écrit dimanche, c'est que je n'ai pas
voulu interrompre mon travail et que j'ai réussi à
terminer le Jour. Je vais te dire quelle a
été mon angoisse, mais je ne l'ai moi-même pas
comprise. Le Jour a été une naissance difficile. «
Quand l'enfant paraît, le temps n'est plus à
l'angoisse, mais à la joie ». - J'ai ceint la fleur
de lys d'une couronne de bleuets. Le jour, nous ne
regardons pas le soleil. Nous sommes à l'intérieur
même du tableau. Nous nous réjouissons de la vie de
la terre, notre mère bien-aimée, de sa profusion et
de ses dons. C'est pourquoi la mère est assise en
bas sous une tonnelle rehaussée d'abricots, de
groseilles, de prunes et de raisins. A ses pieds
jaillit l'eau vive. Devant elle, le jeune homme et
la jeune femme se séparent pour travailler et vivre
le jour, tandis qu'entre eux fleurissent deux
myosotis. De part et d'autre de ces figures, on
aperçoit des orties. De chaque côté un enfant
cueille une violette. Penché, il cherche des yeux
son comparse. Plus loin un grand chardon, et devant
lui une clochette (de l'autre côté, une jacinthe)
dont un enfant semble jouer. Derrière la tonnelle
jaillit un iris bleu, dont le jonc repasse
au-dessus, avec, au milieu de cette fleur, deux
enfants partageant leur repas. A l'arrière-plan, du
côté de la femme une fleur de lin, du côté de
l'homme des épis de blé. - J'ai maintenant résolu la
plus grande difficulté de ces tableaux, la cohésion
pure. Les cadres viendront d’eux-mêmes. »
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