Points singuliers sur sa courbe de
vie
« Je désirais vivre en Dieu, je ne voulais pas seulement aimer Dieu, je
voulais aussi Le connaître, et le christianisme de notre époque
n’enseigne que l’amour de Dieu, et en aucune manière la connaissance.
J’appris bien vite que Dieu allait me charger d’une mission. Et je
trouvais cette connaissance sacrée, cette connaissance de Dieu que je
cherchais – parce que c’est un besoin de ma nature, et que Dieu veut
être adoré par chaque homme selon la nature qu’Il lui a donnée – grâce à
un saint homme du peuple arabe, dont le nom était Ahmed al-Alawî.
C’était un Maître spirituel et il avait de nombreux disciples. Je
trouvai là ce que je cherchais : la connaissance de Dieu, et les moyens
de réaliser Dieu » (1947, cité
par Jean-Baptiste Aymard).
Aïssa Nûr el-din Ahmed
Comme René Guénon, Schuon
sera initié dans l’ésotérisme islamique, en 1932, et prendra le nom de Aïssa (= Jésus) Nûr el-din (= Lumière de la Tradition) Ahmed (=
Mohammed). Naturellement, il ne s’agit pas, pas plus que pour René
Guénon, en 1912, d’une conversion, au sens exotérique du terme : « On
peut passer d’une forme traditionnelle à une autre sans être converti ».
L’essentiel ici est que Schuon soit devenu à Mostaganem, par son
initiation, le disciple du cheikh Ahmed al-Alawi. La différence
fondamentale avec Guénon reste que ce dernier n’avait pas pour fonction
de devenir un maître spirituel comme ce sera le cas pour Schuon.
Le 11 juillet 1934, à Paris, un an après
son initiation auprès du sheikh Ahmad al-Alawi, à Mostaganem,
Frithjof Schuon connaîtra sa « Visitation de l’Étranger ». Ce jour-là,
en effet, « il a le sentiment que le Nom divin s’actualise en lui avec
une résonance et une intensité bouleversante. Il dira plus tard que le
Nom « avait fondu sur lui comme l’aigle sur sa proie». Cette
Présence lui reste sensible durant trois jours. Lors d’une promenade sur
les quais de la Seine, il a le sentiment que tout est « transparent,
diaphane, infini ». Or, il apprendra bientôt,
intersigne
saisissant, aurait dit Massignon, que le
sheikh al-Alawi est
mort le 11 juillet 1934. Deux ans plus tard, il est prévenu, de manière
tout aussi surnaturelle, de son investiture à la fonction de
sheikh :
il adoptera alors le nom de sheikh
Aïssa.
« Fondamentalement, tout amour est une
recherche de l’Essence ou du paradis perdu »
Dans le même temps, de 1933 à 1942,
Schuon va faire l’expérience de l’amour humain et divin. Cette
expérience qui est connue des fidèles d’amour et que l’on retrouve chez
un Dante, un Novalis ou encore chez Ibn ‘Arabî. C’est ainsi que le 27
décembre 1942, il connaîtra une nouvelle expérience spirituelle, une
nouvelle motion de l’Esprit, à propos de l’invocation du Nom de Dieu –
« La rencontre entre le Nom et le cœur est tout ; le Nom dans le cœur,
le cœur dans le Nom » (cité par
Jean-Baptiste Aymard). Il est
très évident que cette « illumination » s’inscrit dans l’ordre de la
fidélité d’amour, comme une étape de l’expérience commune à tous les
fedeli d’amore. C’est même à ce moment précis que Schuon est devenu
un fidèle d’amour : « Les mêmes symboles ne s’appliquent-ils
pas à des niveaux différents ? Si j’ai prié pour obtenir la bien-aimée,
n’ai-je pas prié sans le savoir, pour obtenir cette grande illumination
dont mon amie n’est qu’une image terrestre ? Et si j’ai tant aimé mon
amie, n’est-ce pas inconsciemment pour cette dernière raison ? ». Mais, naturellement, il s’agit moins ici
d’une appartenance à l’ordre ancien et désormais « occulté » des
fedeli d’amore que d’une expérience spirituelle qui s’y rapporte et
lui confère la dignité de fidèle d’amour.
« A propos de la spiritualité
indienne »
C’est en 1959, à l’âge de 52 ans, que
Frithjof Schuon se rendra pour la première fois en Amérique, auprès de
ces Peaux-rouges avec qui il entretiendra des rapports privilégiés (en
fait, dès 1953, il avait fait la connaissance, à Paris, de Thomas
Yellowtail). Frithjof Schuon ainsi que sa femme Catherine seront
d’ailleurs adoptés à deux reprises par des tribus sioux, à Pine Ridge et
chez les sioux Lakota. Ces derniers les feront participer, en 1959, à
une Danse du Soleil, et leur donneront des noms :
Wicahpi Wiyakpa
(Etoile brillante), Wambli Ohitika (Aigle courageux), et
Wowan
Winyan (Femme artiste). L’Amérique est alors devenue sa patrie
d’adoption et c’est sans doute ce qui explique qu’en septembre 1980,
Schuon quittera l’Europe – comme Guénon l’avait fait pour l’Égypte – et
s’installera définitivement dans l’Indiana, précisément à Bloomington.
De son expérience indienne, Schuon retient que « la culture peau-rouge
est fondée sur le non-écrit, la sagesse de la libre nature sortie des
mains de Dieu, entièrement non-théologique » : « Le monde indien,
dira-t-il, signifie d’abord et avant tout la lecture de la doctrine
primordiale dans les phénomènes de la nature – chaque homme lit ce qu’il
peut comprendre – puis la perception de la nature comme demeure
primordiale et sacrée manifestant partout le Grand Esprit et partout
emplie de lui ; cette conscience confère à l’homme rouge sa dignité,
constituée de respect pour la nature et de domination de soi » (1997).
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