J'ai fait la connaissance de
Novalis à Iéna. J'avais beaucoup entendu parler de lui. Et il était à peine un homme,
celui dont je souhaitais si ardemment faire la connaissance. Je le rencontrai d'abord chez
Frédéric Schlegel, dans les bras de qui il devait décéder quelques années plus tard.
Son extérieur, au premier abord, était assez semblable à celui des dévots parmi les
chrétiens qui se présentent sous une humble apparence. Et son costume même semblait
soutenir cette première impression, car il était simple au plus haut degré et ne
laissait soupçonner en rien sa noblesse de naissance. Il était élancé et mince, d'une
constitution qui ne marquait que trop sa morbidité. Son visage, je le vois passer devant
moi : teinté, foncé et brun. Ses belles lèvres, qui parfois souriaient ironiquement,
étaient en général fort sérieuses et montraient la plus grande douceur et la plus
grande gentillesse de caractère. Mais ses yeux surtout étaient frappants, dans la
profondeur desquels brûlait un feu éthéré. Il était tout entier poète et rien
d'autre que poète. Toute la vie pour lui n'était qu'un mythe profond; les apparences, à
ses yeux, étaient mouvantes autant que les paroles, et la réalité sensorielle et
sensuelle - tantôt plus sombre, tantôt plus claire - se rattachait exclusivement au
monde mythique dans lequel il vivait. On ne pouvait pas l'appeler un mystique, au sens
habituel, puisque ceux-ci cherchent derrière le monde sensible dont ils se sentent
prisonniers, une réalité spirituelle qui en détient le profond secret et en cache la
liberté. Non : pour lui, ce lieu secret était sa patrie originelle et pure, tout
naturellement; et c'était de là qu'il jetait son regard sur le monde sensible et ses
contingences. Ce mythe original qui appartenant à son être lui ouvrait la compréhension
des philosophes, de toutes les sciences et de tous les arts, comme aussi des
personnalités spirituelles les plus importantes. A cause de cela, la merveilleuse grâce
de sa langue et sa mélodieuse harmonie n'avaient rien d'acquis, d'appris, et lui étaient
spontanément naturelles. Et toujours à cause de cela, il se mouvait avec une facilité
non moins égale dans les domaines de la science que dans ceux de la poésie : les
pensées les plus profondes ou les plus abstraites restaient pour lui absolument
apparentées avec le Maerchen le plus merveilleux, et inversement le Maerchen le plus
fantaisiste et le plus chamarré ne reniait jamais son intention spéculative, quoique de
façon occulte.
Les disciples à Saïs et Henri d'Ofterdingen devaient faire une impression plus que
profonde, détenant originalement, semblait-il, tous les secrets que la philosophie
s'était efforcée de découvrir par ses méthodes les plus sévères. Et c'était là
aussi ce qui lui donnait le droit de s'exprimer sans nulle gêne sur tous les sujets : il
professait lui-même l'opinion que le philosophe devait, en effet, user d'une méthode,
mais qu'il devait s'en abstraire pour enseigner, alors qu'il la possédait à fond, et
qu'il devait s'expliquer sans elle et hors d'elle, non point par elle. C'était alors,
disait-il, qu'il exprimera son être propre de la manière la plus claire et la plus
expressive.
J'ai fait plus tard la connaissance
de gens qui étaient complètement subjugués par lui : des hommes voués eux-mêmes à
une vie pratique, des naturalistes empiriques de toutes sortes, qui mettaient plus haut
que tout le secret et le mystère spirituel de l'existence, et qui pensaient avec foi que
ce secret se trouvait enfoui, caché dans ses écrits. Les pensées religieuses et
poétiques de Novalis étaient pour eux comme des oracles tout gorgés de promesses, et
ils trouvaient dans ses expressions un réconfort tout semblable à celui du pieux
chrétien dans les Saintes Écritures. Novalis, en effet, était chrétien et religieux au
sens le plus profond qui soit. On sait qu'on a de lui des Hymnes spirituelles qui comptent
parmi les plus magnifiques que connaisse l'Église chrétienne. Et nul n'ignore que son
penchant vers le catholicisme était on ne peut plus marqué, et que personne peut-être
n'a plus attiré la jeunesse au catholicisme."
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