
Numéro spécial René Guénon, 2003 : R.G. de la Saulaye
Remarque sur le « guénonisme »
Trois courants principaux
de disciples se sont dessinés à la mort de René Guénon : ceux de Frithjof
Schuon, de Michel Valsân (l’ancien disciple de Petre Lupu, « le Moss ») et
de Roger Maridort. D’autres disciples de René Guénon ont à leur tour
composé des œuvres importantes, à commencer par Titus Burckhardt, Martin
Lings, Roger du Pasquier, etc. Il est à signaler le rôle du cheikh Alawî
de Mostaganem, que
Frithjof
Schuon rencontrera en 1932. Ce qui paraît remarquable
est que les disciples de Guénon en sont à la troisième génération, sinon à
la quatrième, et qu’à l’exception de quelques uns qui sont resté
chrétiens, la majorité est passée à l’Islam, certes à un Islam
ésotérique, d’un ordre purement « intellectuel », représenté par
l’enseignement du Sheikh al-Akbar, Muhyi-d-dîn ibn ‘Arabî. De ce point de vue,
l’itinéraire personnel de Roger du Pasquier qui trouva un jour René
Guénon sur son chemin est exemplaire. Journaliste, il a en Indonésie,
puis en Inde, à la faveur de séjours professionnels, l’expérience de « ce
problème majeur de notre temps », selon ses propres termes, à savoir « la
confrontation entre l’Orient et l’Occident, entre deux tranches de
l’humanité, l’une statique et encore largement fidèle aux valeurs de son
passé, l’autre dynamique, tournée vers l’avenir et vouée à l’acquisition
du bien-être matériel, devenu le seul critère du progrès ». C’est la
lecture de l’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues
de René Guénon qui sera « une sorte d’illumination » et, selon son
expression, « comme le déchirement d’un voile devant des horizons
illimités ». Roger du Pasquier, « retourné » par cette lecture qui non
seulement modifiait son regard sur l’Inde et ses peuples se met en quête
d’un guru. Quête infructueuse, décevante même, auprès de Shri Aurobindo.
De retour en Suisse, en 1950, il apprend que René Guénon s’était converti
à l’Islam et avait adhéré à l’ésotérisme musulman. Il réalisera le même
programme, et c’est à l’étude de l’Islam qu’il consacrera désormais ses
efforts, marquant, il y a quelques années, ce qu’il faudrait méditer en ce
début de vingt et unième siècle, que l’Islam, « en dépit de sa décadence,
de ces turbulences et de ces excès injustifiables commis en son nom (…)
demeure un extraordinaire réservoir de foi et de prière » et que, « s’il
est toujours capable d’attirer les Occidentaux en quête de l’essentiel »,
il le doit à « sa spiritualité toujours vivante et au fait fondamental
qu’il reste expression directe de la Vérité transcendante, sans laquelle
il ne saurait y avoir de véritable religion », cf. « Humble voyage d’un
occidental vers l’Islam », Le Temps stratégique, n°22, automne 1987.
Il y aurait, enfin, à signaler cette particularité des disciples de
Guénon, selon le propos de l’un d’entre eux : « Un travers assez commun
aux « guénoniens » et contre lequel je voudrais mettre en garde, c’est
la tendance à se croire les « derniers de Mohicans », à considérer qu’il
n’y a plus rien de traditionnel dans le monde ou, en tout cas, dans le
monde occidental que tel ou tel groupe ou du moins que les groupes
formés directement ou indirectement sous l'inspiration de René Guénon."