Louis Charbonneau-Lassay
Dans le domaine de l’ésotérisme occidental, une
place très particulière revient à Louis
Charbonneau-Lassay, pour plusieurs motifs dont les
moindres ne sont pas d’avoir entretenu longtemps une
relation intellectuelle de grande qualité avec René
Guénon, et d’avoir reçu le dépôt d’une des dernières
organisations initiatiques chrétiennes d’Occident
encore actives, autrement dit ininterrompues,
au début du 20e siècle.
Le Bestiaire du Christ
Louis Charbonneau-Lassay est aussi l’auteur d’un
ouvrage tout à fait unique, intitulé Le Bestiaire
du Christ, qui fut publié en 1940 (réédité en
2006), comportant « mille cent cinquante-sept
figures gravées sur bois par l’auteur », et qui
constitue une somme irremplaçable sur la symbolique
chrétienne et, par conséquent, sur l’ésotérisme
occidental.
*
Son auteur demeura
durant des années en relation avec René Guénon et on
peut même parler d’amitié intellectuelle entre les
deux hommes. On rencontre, en effet, dans leurs
œuvres de nombreux références à l’un ou l’autre de
leurs articles, et ils collaborèrent ensemble à la
revue Regnabit, le premier à partir de 1922,
le second, en 1925-26. On sait que pour René
Guénon, sa collaboration à Regnabit, « Revue
universelle du Sacré-Cœur », se plaçait dans la
perspective de la tradition chrétienne, « avec
l’intention d’en montrer le parfait accord avec les
autres formes de la Tradition universelle »
Il dira d'ailleurs, à propos de son article « Le
grain de sénevé » : « Cet article qui avait été
écrit autrefois pour la revue Regnabit, mais
qui ne put y paraître, l’hostilité de certains
milieux « néo-scolastiques » nous ayant obligé alors
à cesser notre collaboration, se place plus
spécialement dans la « perspective » de la tradition
chrétienne, avec l’intention d’en montrer le parfait
accord avec les autres formes de la Tradition
universelle », cf. Symboles fondamentaux de la
Science sacrée.
Les deux hommes se rencontrèrent à plusieurs
reprises, durant les années 20. Pour René Guénon,
Louis Charbonneau-Lassay faisait autorité pour tout
ce qui concernait le symbolisme chrétien et, de
fait, son œuvre témoigne assez de ses compétences en
la matière. De René Guénon, Louis Charbonneau-Lassay
parle, dans sa préface au Bestiaire du Christ
par exemple, comme d’un « savant orientaliste »
René Guénon a su convaincre Louis Charbonneau-Lassay
de l’importance de l’ésotérisme occidental, tout au
moins au Moyen Age. Ainsi ce dernier relève-t-il,
dans son introduction au Bestiaire du Christ,
qu’à cette époque, « il existait des écoles
« généralement très fermées, plus ou moins mal
connues » pour ce motif, et qui n’étaient d’ailleurs
point des écoles philosophiques, dont les doctrines
ne s’exprimaient que sous le voile de certains
symboles qui devaient sembler fort obscurs à ceux
qui n’en avaient pas la clef ». On sait qu’une telle
manière d’envisager l’ésotérisme – même si Louis
Charbonneau-Lassay n’emploie pratiquement jamais ce
terme – était fort peu fréquente dans les milieux
catholiques qu'il fréquentait.
Cependant, soucieux
de toujours demeurer fidèle à « la plus stricte
orthodoxie » de l’Église, il s’est éloigné
progressivement de l’œuvre de René Guénon,
vraisemblablement après la parution du Le Roi du
Monde. Car une chose est d’affirmer qu’il existe
une « signification cachée » des symboles, « qui est
leur ésotérisme », selon sa propre
expression, une chose de reconnaître que la plupart
des symboles sont communs à toutes les traditions
préchrétiennes, en particulier la « doctrine
druidique » et non chrétiennes, une autre chose est
d’admettre, après René Guénon, l’existence d’une
Tradition primordiale, universelle, selon le terme
qu’il employait alors dans Regnabit, dont
chacune de ces traditions – et donc le christianisme
– serait une des manifestations. A ce sujet, il en
viendra même à parler d’une « super religion ».
En plus de René Guénon, Louis Charbonneau-Lassay fut
également en relation avec un mystérieux
« asiatique » du nom de Saï Taki Movi, dont il dira,
à propos du svastika : « Je tiens du docte asiatique
Saï-Taki-Movi des précisions réalistes et nettes sur
le caractère que le svastika, si diversement
interprété, a toujours eu et gardé en certains
cénacles très réservés de la Mongolie et des régions
voisines ». Quant à son identité, aux raisons de sa
présence en France, elles restent inconnues.
L’Estoile internelle
Louis
Charbonneau-Lassay se trouva recueillir le dépôt
d’une « société mystique », dont les origines
remontent au 15e siècle : L’Estoile
internelle. -
Elle incorporera plus tard une autre société : La
Fraternité des Chevaliers du divin Paraclet.
Ainsi
affirme-t-il dans Le Bestiaire du Christ :
« J’aurai l’occasion de citer plusieurs fois dans la
suite de cet ouvrage, l’un de ces groupements
secrets du Moyen-Âge qui s’est conservé jusqu’à
nous, L’Estoile internelle, lequel possède
des archives très anciennes, notamment un recueil de
symboles, datant de la fin du XVe siècle ; il m’a
été exceptionnellement communiqué par ce groupe
même, pour le présent travail, après la publication
de plusieurs chapitres dans l’ancienne revue
Regnabit ».
Cette société présentait, à l’époque où il en aura
connaissance, dans les années 30, des documents
suffisamment complets pour envisager la possibilité
d’une initiation chrétienne :
« J’ai été plusieurs
fois obligé déjà, pour être sincère et moins
incomplet, de faire allusion à ces groupements
mystiques et secrets du Moyen-Âge peu connus, comme,
par exemple, à la Fede Santa, dont Dante
paraît avoir été l’un des chefs, et qui était « une
sorte de tiers-ordre de filiation templière »,
certains, parmi ces groupements hermétiques étaient
en parfait accord avec la plus strict orthodoxie,
tout en détenant parfois pour eux des secrets
séculaires étrangement troublants ; c’est le cas de
l’Estoile Internelle qui n’a jamais compté
plus de douze membres, et qui existe encore avec les
manuscrits originaux du XVe siècle, de ses écrits
constitutifs et de doctrine mystique ».
René Guénon lui-même avait répondu « d’une manière
favorable quant au caractère orthodoxe et sain de
cette organisation », toutefois, la trace de cette
organisation se perd rapidement après la mort de
Louis Charbonneau-Lassay – et on sait que Guénon
lui-même en conclura que les possibilités
d’initiation chrétienne étaient désormais totalement
exclues en Occident, du moins dans des conditions
« habituelles et régulières ». |