
Mounir
Hafez, adolescent, à l'époque de sa rencontre avec
Armel Guerne
Mounir Hafez est né le 26 septembre 1911, à
Alexandrie, dans une famille musulmane
traditionnelle, apparentée à la cour royale
d’Égypte, par sa mère, Madame Zulficar. Il suit ses
études en France, dès l’âge de sept ans, à St
Germain en Laye, puis à la Sorbonne (licence en
philosophie, mais aussi études scientifiques :
physique, chimie, sciences naturelles). Il accomplit
un stage de deux ans à l’Hôpital Sainte-Anne et suit
des cours sur l’aliénation mentale à la Préfecture
de la Seine. Il rentre ensuite en Égypte, à la
demande de son père, pour s’occuper des propriétés
familiales, mais il alternera les séjours à Paris
(l’été) et au Caire (l’hiver) jusqu’en 1952. A
Paris, il suit les cours de Louis Massignon au
Collège de France et publie ses premiers essais
poétiques dans les années 30, tandis qu’il donne de
nombreuses conférences au Caire – il recevra les
Palmes académiques en 1949, pour sa contribution à
la diffusion de la culture française en Égypte. A
partir de 1952, lorsque la révolution nassérienne le
contraint à l’exil, Mounir Hafez s’installe
définitivement à Paris, sans autres ressources que
ses conférences et ses traductions. A partir de
1954, il n’en suivra pas moins les cours de Henry
Corbin, à l’École Pratique des Hautes Études, - il
soutiendra une thèse sur la mystique musulmane –
collabore à diverses revues, dont La Tour
Saint-Jacques, de Robert Amadou, participe à un
groupe de recherches sur l’histoire des Sciences
Traditionnelles, avec Eugène Canselliet, René Alleau,
etc., multiplie les conférences et enseigne à l’EPHE,
à la
Sorbonne (1959/60) sur le thème de l’Islam face aux
acquisitions nouvelles de la pensée.
Mounir Hafez continuera de prodiguer son
enseignement, en public (cf. infra son
« Discours prononcé en présence du Dalaï-lama »),
mais aussi dans des cercles plus restreints, jusqu’à
sa mort le premier janvier 1998.
*
Mounir Hafez appartient à une « famille d’esprits »
dont certains noms sont bien connus, et d’autres
non. Il est contemporain de l’orientaliste Louis
Massignon à qui il devra son intérêt pour Hallâj, de
« l’iraniste » Henry Corbin, mais aussi de poètes
comme Armel Guerne (cf. infra, « Le poète et
le soufi ») et Henri Michaux dont il sera le
secrétaire et à propos de qui il aura ces mots : « A
l’Occident exilé, il redonne passeport », - de
peintres aussi (Nicolas de Staël) et de
scientifiques : « Il faut lire la physique »,
dira-t-il à la fin de sa vie. On comprend qu’il ne
s’agit aucunement d’éclectisme, mais de l’itinéraire
d’un homme qui s’est trouvé de par sa naissance et
ses intérêts personnels en relation avec tout ceux
qui – au Caire, comme à Paris – ont compté au
vingtième siècle dans les domaines de la pensée et
de l’art, de la science, et de la spiritualité.
Toutefois, qu’il ait donné des conférences aux
fameux Mardis de Dar es-Salam, avec les
Dominicains du Caire, ou qu’il ait publié, dans sa
jeunesse, des poèmes dans des revues surréalistes,
qu’il ait fréquenté Louis Massignon et Henry Corbin,
et aussi bien Georges Bataille, Émile Cioran, et
Maurice Blanchot, qu’on le retrouve collaborant à
Dieu vivant (Moré, Massignon, Daniélou) comme à
la revue littéraire d’Henri Parisot, Les Quatre
Vents, qu’il se soit intéressé à l’hermétisme et
à l’alchimie ou qu’il ait étudié l’astrophysique,
Mounir Hafez est demeuré dans le monde ce qu’il
était à l’intérieur.
Vu de l’intérieur, il s’agit, en effet, du
cheminement d’un homme noble, d’un initié,
qui s’est effectué au « terrain de
contact spirituel » entre l’Orient et l’Occident et
dont la singularité n’a cessé de s’affirmer au cours
des années, préférant mener une vie retirée, à
l’écart des mondanités, et dispenser son
enseignement à de petits groupes d’auditeurs, à
Paris et à Zurich.
*
L’expérience spirituelle de Mounir Hafez est celle
d’un « maître et disciple dans le soufisme », selon
son expression. Il s’inscrit dans une généalogie
spirituelle où l’on reconnaît principalement, pour
ce qui est de la tradition chrétienne, le nom de
Jacob Boehme. C’est à travers ses œuvres, et celles
de quelques uns de ses continuateurs (Franz Baader,
Novalis), que Mounir Hafez a rencontré en Occident
l’écho de sa propre expérience de soufi. –
œuvres qui constituent, d’ailleurs, la dernière
manifestation en date de la tradition occidentale
chrétienne : « Ici, nous retrouvons le soufisme »,
affirmera-t-il. C’est, en effet, que la démarche de
Jacob Boehme privilégie « la naissance de la
personne à elle-même ». Tout l’enseignement de
Mounir Hafez porte sur les conditions de cette
seconde naissance, sur le modèle de la naissance de
Dieu à Lui-même. Mais, ce serait sans doute en
réduire la portée que de se limiter à cet aspect.
Mounir Hafez n’ignorait ni la tradition de Maître
Eckhart ni celle d’Ibn ‘Arabî, dont il conseillait
l’apprentissage, mais « en essayant d’en tirer une
vision claire, globale ». Il reste que,
fondamentalement, son enseignement a consisté à
« faire venir l’Impersonnel jusqu’au face à face
personnel », ce qui l’inscrit du coté de la voie
théosophique plutôt que dans l’ordre métaphysique –
d’une « métaphysique d’intériorité ».
Disant cela, on doit
avoir conscience qu’il ne s’agit jamais ici que de
catégories, qui n’en ont pas moins leur importance
d’un point de vue initiatique, mais qu’il est question d’abord, avec
Mounir Hafez, d’expérimenter la vie intérieure, en
se prémunissant contre tout ce qui peut lui faire
obstacle. |