Depuis quelques années les universitaires, qui ne
supportent pas qu'un sujet leur échappe, ont entrepris
de mettre la main sur Paracelse. Il est vrai qu'il leur
glissait entre les doigts depuis de trop nombreuses
années. La "critique" s'est donc emparée de son œuvre.
Pour la tranquillité de leur conscience, il a paru
indispensable à certains professeurs que tout rentrât
dans l'ordre – le leur bien sûr – en ce qui concerne
l'incorrigible citoyen d'Einsiedeln jusqu'alors rebelle
à leurs investigations opiniâtres. Il fallait qu'ils
l'insérassent dans l'une ou l'autre de leurs minutieuses
nomenclatures et qu'il s'y trouvât correctement et
définitivement étiqueté. Un nom, une date, une
définition. C'est ainsi que notre tempétueux voyageur,
notre irascible prosateur, "Prince des deux médecines"
comme il s'intitulait, se retrouva pris dans un bocal et
classé parmi les sujets d'étude de leur laboratoire
philosophique. Tel une grenouille dans du formol !
Or
Paracelse fut et reste un homme inclassable. Comme
l'Histoire en connut quelques-uns au long des âges. Il
n'appartiendra jamais aux catégories de la médecine
classique. Sa doctrine n'est pas de celles qu'on étudie,
au sens ordinaire de ce terme du moins. Les propos
qu'elle expose participent de la science cosmologique et
ne sauraient entrer dans le monde restrictif des savoirs
profanes. Cette science qui englobe tout ce qui se
rapporte à la relation existant entre le macrocosme et
le microcosme – l'univers et l'homme – s'avère être en
parfaite harmonie avec les principes métaphysiques
auxquels elle renvoie et qu'elle ne saurait contredire.
L'univers est un et la loi des correspondances
s'applique à tous les modes de l'être. Sans exceptions.
L'adage d'Hermès ne dit pas autre chose qui enseigne que
"tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et
tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut,
pour la merveille d'une chose unique". L'œuvre de
Paracelse s'y réfère constamment :
« Si l'on
oublie l'influence d'en haut, déclare-t-il, et si l'on
ignore l'effet d'en bas, on agit en aveugle. »
« Celui qui
parmi vous méconnaît l'astronomie n'arrivera à rien en
médecine. Et s'il ne sait rien du ciel intérieur, il ne
mérite pas le nom de médecin. Par contre, s'il sait
appliquer l'astronomie et l'astrologie à l'homme, alors
ils connaîtra les deux ciels. Or apprenez que l'astre
d'en haut et l'astre d'en bas sont une seule et même
chose. C'est le ciel extérieur qui montre le chemin du
ciel intérieur [...]. Toute opération et tout remède
dépendent du ciel. Si la concordance est mauvaise,
l'entreprise échoue. »
A une
époque où triomphait le contraria contrariis curantur, il déclare que "la santé
et la maladie viennent de la même racine. Par où la
santé décline, par là aussi la maladie doit finir. Si
donc l'astre nous rend malade, l'astre peut aussi nous
guérir ; car le recours n'est possible que par le
semblable, jamais par le contraire".
Cet homme
donc ne fut pas un médecin ordinaire. Son existence
entière l'atteste et il fut en rupture avec la presque
totalité de ses contemporains. Ce n'est pas un hasard
si, dès le préambule de son Labyrinthe des médecins
errants, il adresse son salut "aux médecins selon
Hippocrate". D'Hippocrate, il a d'ailleurs commenté les
Aphorismes. La filiation avec la pensée du maître
de Cos ne fait pour nous aucun doute.
Il est
évidemment impensable de résumer ici la masse énorme que
représente l'ensemble de ses travaux, lesquels couvrent
de nombreux domaines et dont on se demande quand et où
il trouva le temps nécessaire pour en réaliser la
rédaction ; sa brève existence, circonscrite entre 1493
et 1541, n'ayant été qu'un continuel déplacement. Tel
Rabelais, davantage même, il fut un perpétuel migrateur
:
« Les
universités n'enseignent point toutes choses. Il faut au
médecin rechercher les bonnes femmes, les Bohémiens, les
tribus errantes et autres gens hors la loi, et se
renseigner chez tous. Il faut par soi-même découvrir ce
qui sert l'art, voyager, connaître maintes aventures, et
retenir ce qui en route peut être utile. »
« Les
maladies errent par toute la terre. Si un homme souhaite
de les comprendre, il lui faut errer lui aussi. Il lui
faut voir la nature là où elle prodigue ses minéraux ;
et comme la montagne ne vient pas à lui, il doit aller à
elle. »
« Quiconque
a le désir de pénétrer la nature doit en fouler le livre
vivant de ses propres pieds. L'écriture s'apprend par
des lettres ; la nature par les contrées dont chacune
est un livre. Et l'homme, en voyageant, doit en
feuilleter les pages. »
Nous ne
ferons pas de Paracelse, à l'instar de certains auteurs
"évolutionnistes", le précurseur de l'iatrochimie, de la
métallothérapie ou de l'homéopathie. Ni de quoi que ce
soit du reste. Le mot "précurseur" ne signifie rien dans
le langage de la tradition dont toute notion de progrès
est absente. La Sagesse n'est pas un livre que l'on
complète : tout s'y trouve, de toute éternité. Le reste
est fantaisie. Prétention. Néant. L'évolutionnisme,
qu'on nous le pardonne, n'est pas notre affaire.
Pour
achever ce paragraphe, nous aurons recours, encore une
fois, au bon compagnon, si cher à notre cœur et dont il
est si peu question dans l'assourdissante cacophonie de
ce siècle :
« Parce que
je me présentais sans les falbalas de mes confrères, on
me renvoya avec mépris. Le bourgmestre était accoutumé
aux docteurs vêtus de soie et non aux vagabonds de mon
espèce, en loques brûlées par le soleil. »
« Les
médecins qui restent à leur foyer portent la robe et les
chaînes d'or. Ceux qui voyagent ont à peine de quoi
s'acheter un sarrau. Les premiers paressent devant le
feu et se régalent de perdreaux ; les autres errent,
cherchant l'Art, et mangent la soupe au lait. Mais nul
homme ne devient un maître chez soi et ce n'est pas
derrière le poêle qu'il trouvera la science : il faut
aller la quérir et la capturer où elle se trouve. »
«
Écoutez
ceci : la médecine n'est pas chez celui que choisit
l'homme, mais chez celui que choisit Dieu. Il connaît le
cœur du médecin, il ne prête aucune attention à ses
grades, aux écoles, à la pompe, aux titres, à sa lettre
et à son sceau mais il pose les yeux sur le
miséricordieux et lui accorde le remède. Sachez que ce
sont les bienheureux et non les autres, ceux qui ont été
élus par Dieu et non ceux que l'homme a élus, qui ont
découvert la médecine dont la vérité est parvenue à nos
oreilles.»
|