Paracelse écrivit ou dicta la plupart de ses œuvres
en allemand. Très peu parurent de son vivant. Après sa mort, elles
furent, en différentes éditions, tantôt publiées en allemand, tantôt et
surtout traduites en latin. Chacune de ces éditions comporte des
variantes, des omissions et, pour les traductions latines, différentes
interprétations. L'érudit Johann Huser réunit en une première édition complète les textes
déjà publiés et les manuscrits qu'il put découvrir, en haut-allemand.
C'est la grande édition des Bücher und Schriften des Edlen Philosophi
und Medici Philippi Theophrasti Bombast von Hohenheim Paracelsi gennant
(en 10 volumes in 4°, Basel. 1589 - 1591) devenue très rare et dont un bon
exemplaire figure à la Bibliothèque Nationale. Une autre édition
collective, latine celle-là, parut de 1603 à 1605 en 12 volumes in 4° à
Francfort, suivie de la bonne édition des frères de Tournes, toujours en
latin, parue en 1658 (3 tomes in-folio) à Genève. La comparaison et la
critique des textes des éditions collectives allemandes et latines, d'une
part, et des textes parus isolément soit en allemand soit en latin avec
différents éditeurs et traducteurs d'autre part, était une tâche très
difficile lorsque Grillot de Givry entreprit son travail, à cause du
nombre énorme de différentes éditions et de leur rareté. Ce travail de
critique bibliographique et historique a été fait, en allemand, par les
professeurs Schubert et Sudhoff, en deux gros volumes (27) qui sont le
premier essai de bibliographie complète ; par le professeur Sudhoff seul
quant à la critique, dans Versuch einer Kritik der Echtheit der
Paracelsischen Schriften (28), impérissable monument auquel il a
consacré sa vie et où sont cités, décrits et soigneusement collationnés
tous les manuscrits actuellement existants et toutes les éditions
imprimées des ouvrages de ou attribués à Paracelse. L'essentiel de cet
énorme travail forme l'incomparable appareil critique de l'édition moderne
en allemand ancien des Œuvres Complètes de Paracelse (29) exécutée
sous la direction du professeur Sudhoff et dont 15 volumes des œuvres
médicales, théologiques et mystiques sont actuellement parus [14
volumes, en fait, plus un autre réalisé par Wilhelm Matthießen :
Theophrast von Hohenheim, gennant Paracelsus Œuvres complètes ,
deuxième section, vol. 1, Munich, 1923].
L'autre édition contemporaine de Bernard Aschner, traduite en allemand
moderne, lui fait pendant (30). Elle est moins onéreuse que la précédente,
mais a moins de valeur peut-être au point de vue historique et critique ;
elle est aussi moins complète, reprenant l'édition ancienne de J. Huser.
Le travail critique se trouve donc de beaucoup simplifié par ces travaux
et, si l'on peut se séparer de l'opinion du professeur Sudhoff sur
certains points, si l'on peut parfois la discuter, il n'en reste pas moins
vrai que son énorme travail a acquis les fondements historiques sans
lesquels toute tentative d'édition et de traduction reste toujours sujette
à caution.
Le traducteur, ayant à sa disposition l'édition Sudhoff, celle de Aschner,
celle de Huser pour les éditions collectives allemandes, l'édition
in‑folio des frères de Tournes, celle in 4° de 1603 ‑ 1605, pour les
éditions collectives latines, et se promettant de se référer aux éditions
particulières soit latines, soit allemandes pour les confronter en chaque
cas litigieux, pourra donc faire le bon et définitif travail. I1 est à
noter que, jusqu'ici, soit qu'on n'ait pas voulu reconnaître le fait que,
sauf de rares exceptions, la langue originale de Paracelse était
l'allemand, soit que le latin offrît de plus grandes facilités, toutes les
traductions connues anciennes et modernes ont été faites sur le latin –
qui était lui‑même déjà une traduction. Et nous ne parlons pas seulement
ici des œuvres traduites mais aussi des citations faites par certains
historiens et dont le choix, par ailleurs, marque soit une assez complète
ignorance des théories paracelsiques soit un parti pris manifeste. Aucun
travail véritablement sérieux ne peut être fait, qui n'ait pour base
première et fondement le texte allemand, compulsé le cas échéant sur les
éditions de langue latine. Il faut noter ici, pour notre confusion de
Français, le manque total de sérieux et de compétence par quoi se
signalent – et d'année en année plus manifestement – les différentes
thèses ou travaux sur Paracelse depuis un demi-siècle. Les citations sont
toujours les mêmes, visiblement reprises les unes des autres, faisant
partie d'un jeu de phrases traduites dans lequel chaque nouvel auteur
puise à son tour sans recourir au texte. Signalons aussi que le niveau
intellectuel de ces travaux baisse sensiblement de l'un à l'autre et que,
depuis la tentative du Docteur Durey (3I), c'est chaque fois d'une
ambition plus courte et d'un enthousiasme plus attiédi que procèdent ces
travaux qui ne sont même plus des compilations mais de rapides et vagues
descriptions d'ensemble qu'aucune analyse ne vient préciser, qu'aucune
synthèse ne vient illustrer. On aboutit ainsi à la dernière thèse en date,
la plus médiocre : celle du Docteur Liénard (32) – et au dernier livre
paru, celui du Docteur Allendy (33), non seulement le plus médiocre mais
aussi le plus vain des livres sur Paracelse et son œuvre, donnant le pas à
la vue extérieure de prétention historique sur le souci de compréhension,
d'intelligence et de pénétration. Rien, pas même les pires injures ou
calomnies jetées sur Paracelse, ne peut donner une idée aussi pauvre et
aussi fausse de ce qu'il fut et de ce qu'est son œuvre. Rien ne saurait
mieux réduire en cendres toute cette néfaste littérature (presque
exclusivement médicale, il faut le dire) que la publication saine du texte
auquel plus personne ne se réfère et avec lequel chacun prend de
surprenantes, pour ne pas dire déshonnêtes, libertés. Aucune polémique,
avant cela, ne saurait avoir raison de cette montagne de papier imprimé,
dix fois plus volumineuse sans doute que les textes originaux contre
lesquels s'exercent le parti pris et la mauvaise foi des auteurs –
desquels il nous faut excepter, parmi les officiels, le Docteur Bouchardat
(34), le Docteur Fauvety (35), le Docteur Cruveilhier (36), Cap (37), le
Docteur Léon Simon (38), le professeur Grasset (39), les Docteurs Vannier
et Vergnes, le Docteur Lalande, Gallavardin, et quelques autres parmi
leurs disciples, homéopathes ou novateurs hardis, dont les travaux se
poursuivent et dont je ne puis ici, sans leur consentement formel,
dévoiler le nom [Guerne fait
allusion ici au docteur Jacques-Emile Emerit, son ami, éminent acuponcteur
mort en 1968.]
Citons encore A. Franck (40) de l'Institut, le Docteur Hoefer qui, dans
son Histoire de la chimie (41), rend justice à Paracelse en tant
que chimiste, comme aussi Jollivet‑Castelot ; d'autres encore dont le
nombre, si grand soit‑il, ne saurait se comparer numériquement à celui de
ceux, parmi les officiels, qui se sont injustement acharnés contre
Paracelse et sa mémoire, suivant en cela l'exemple de ses collègues
contemporains, lesquels se sont signalés par une jalouse fureur et une
complète incompréhension du trésor de science et de pensée qu'il posait
devant eux. Mais si le nombre est minoritaire, l'autorité et le
désintéressement des auteurs qui, sans mesurer toute la grandeur de
Paracelse lui ont cependant reconnu de la valeur ou du génie dans telle ou
telle branche dont ils étaient spécialistes, font grandement pencher la
balance de leur côté et, bien entendu, du sien. Et c'est ici le lieu de
noter que, parmi les partisans de Paracelse (ou tout au moins parmi ceux
qui n'ont pas refusé a priori l'examen de ses théories, de ses
thèses, de sa science) chacun lui reconnaît telle ou telle valeur ou
qualité dans 1a branche dont il est spécialiste : on a considéré Paracelse
non seulement en tant que médecin, mais en tant que chimiste, chirurgien,
oculiste, psychiatre, prophète, mage, kabbaliste, philosophe, théologien,
écrivain mystique, etc. Pour Paracelse, la médecine telle qu'il la
concevait : science des sciences, contenait et supposait la connaissance
la plus étendue et l'expérience la plus grande. Dans un siècle où
l'analyse a morcelé les sciences en une foule de compartiments quasi
étanches, sans compénétration véritable, chacun étant le théâtre de
tentatives et d'expériences particulières et chacun se voulant supérieur
et doué d'autorité sur son voisin, il semble bien que la tâche insigne de
rechercher à nouveau l'unité et l'harmonie dans une compréhension
synthétique appartienne au philosophe ; que c'est au philosophe, et non
aux médecins, qu'incombe la tâche significative en un tel temps de doter
la France d'une traduction des œuvres d'un maître qui, plus peut‑être que
tout autre, eut ce don immense de rassembler en lui pour en former un
tout, toutes les connaissances humaines à un moment donné, d'anticiper
avec elles sur les siècles à venir, de faire la somme enfin, à un
carrefour particulièrement bien dessiné dans l'Histoire, juste devant la
Renaissance, de tout ce qui devait être retenu d'un long passé pour le
lancer dans un lointain avenir. L'actuelle tendance à ne considérer
Paracelse qu'en tant que médecin – avec le sens plus étroit que l'époque
donne à ce terme – doit être fermement combattue car son œuvre de
philosophe, de penseur, de théologien et de mystique – pour étroitement
mêlée qu'elle soit à son œuvre et souci constant de thérapeute – n'en est
pas moins à la fois aussi considérable et aussi importante. Ses constantes
préoccupations morales en un temps où, foncièrement, nous vivons une crise
morale, son autorité de moralisateur, sa haute compréhension mystique du
christianisme et le rôle grandiose qu'il sait assigner et reconnaître à
l'homme, à l'individu, dans la création, le haut sens qu'il possède de la
maîtrise et de l'obéissance : autant de caractères propres essentiellement
à la personne de Paracelse et qui assignent aujourd'hui, plus
particulièrement au philosophe, le soin d'en restituer le sens
profond.
Non pas qu'il faille écarter les spécialistes, ni non plus oublier que
Paracelse avant tout est un expérimentateur, un homme qui travaille de ses
mains à tout instant et pour qui la seule spéculation idéale ne saurait
suffire, car il la veut, en bon médecin, efficace et efficiente. Mais pour
diriger les travaux d'établissement d'une traduction complète, conserver à
ces œuvres parfois si différentes d'aspect leur unité profonde et pour en
restituer l'unique accent, comme aussi pour essayer d'en faire apparaître
le sens parfois caché dans de prodigieux raccourcis d'expression, cela ne
peut être l'œuvre ni d'un chimiste, ni d'un médecin, ni d'un spécialiste
de quelque spécialité qu'il soit, mais d'un philosophe rompu aux exercices
de la pensée et entraîné à la souveraine compréhension du cœur. D'un
adepte du verbe, en un mot. Le traducteur, au cours de ses travaux, compte
bien entendu s'entourer de toutes les compétences particulières requises
et rechercher le conseil des paracelsistes de sa connaissance, médecins,
chimistes, spagiristes, philologues, historiens etc., mais il n'escompte
pas avoir, à aucun moment, à abandonner l'autorité que son rôle de
manipulateur du verbe lui octroie, souverainement. Et s'il espère
s'enrichir – et enrichir son travail – de toutes ces leçons, il pense que
l'étude et la recherche de la compréhension humaine de Paracelse, homme et
penseur, la constante pénétration sympathique de l'individu, maître et
dépositaire de toutes les disciplines particulières, reste le mode
essentiel et sûr d'élaboration, la clef de voûte de l'édifice d'où il est
possible, en cas de besoin, de projeter la lumière dans telle ou telle
partie demeurée obscure. La fourmillante variété des applications de son
génie exige, à défaut de supériorité de fait, une supériorité mentale
acquise par la position prise au départ, dans cet énorme édifice – et nous
pensons que seul un maître des travaux, juché sur les échafaudages, pourra
seul la mener à bien.
Conclusion.
En résumé, la nécessité de
doter la France d'une traduction française complète des œuvres de
Paracelse ressort :
du fait que la curiosité, longtemps excitée à son sujet est maintenant
parfaitement éveillée ;
du fait de la rareté de plus en plus grande des textes du XVIème
siècle et de la connaissance de moins en moins sûre du latin chez ceux
qu'il intéresse, médecins, philosophes, humanistes, poètes, etc. ;
du fait de la notoriété scientifique nouvelle qu'il a requise chez nos
voisins, après que le branle, en quelque sorte, fut donné par des
chercheurs français à ce mouvement de réhabilitation ;
du besoin de ruiner toute une littérature de sornettes indignes de la
France et de ses penseurs ;
du besoin de restituer à son universalité une pensée qui risquerait,
quelque temps, d'être utilisée à des fins nationalistes indignes d'elle
[ Précision qui laisse deviner
que Guerne écrivit ces pages au moment de la guerre ]
du besoin d'enrichir, à un moment de crise et de doute, le patrimoine
français d'un apport moral et idéal d'une rare vertu ;
et du seul point de vue
scientifique, de combler une lacune inexcusable.
27) Schubert und
Sudhoff : Paracelsus. Forschungen 2 vol. in 8° Frankfurt-am-Main,
1887‑1889.
28) K. Sudhoff :
Versuch einer Kritïk der Echtheit des Paracelsischen Schriften 3
vol. in 8° Berlin, 1894‑1899.
29) Th. von
Hohenheim gennant Paracelsus, Sämtliche Werke 15 vol. in 8° München,
1923‑1933.
30) B. Aschner :
Paracelsus. Sämtliche Werke in neuzeït Deutsch 4 vol. in 4° Iena,
1926‑1932.
31) L. Durey : Thèse de
médecine. Etude sur l'œuvre de Paracelse in 8° Paris, 1889‑1890.
32) René-Albert Liénard :
Paracelse (Théophraste. Bombast von Hohenheim. 1493‑1541) sa vie, son
œuvre, étude historique et critique in 8° Lyon, Bosc Frères, 1932.
33) Allendy : Paracelse,
le médecin maudit in 12° Paris, 1937.
34) A. Bouchardat :
Nouveau formulaire magistral in 12° Paris, 1840 (Introduction).
35) Ch. Fauvety : Le
magnétisme au siècle de Paracelse in 8° Paris, 1856.
36) Cruveilhier : Article
in Revue de Paris, juillet 1857. Philosophie des sciences,
œuvres choisies in 8° Paris, 1862. Paracelse, sa vie, sa doctrine
Gazette médicale, 7 mai 1842.
37) P.A. Cap : Etudes
biographiques pour servir à l'histoire des sciences. Deuxième série,
chimistes... in 8° Paris, 1864.
38) Docteur Léon Simon :
Paracelse, sa vie, sa doctrine Gazette médicale, 7 mai 1842.
39) Docteur Henri Grasset :
L'Histoire de la médecine et Paracelse in 8° Paris, 1911.
40) Adolphe Franck :
Paracelse et l'alchimie au XVIème siècle (préface Tiffereau,
L'Or et la transmutation des métaux) in 16° Paris, 1889.
41) Docteur Ferdinand
Hoefer : Histoire de la Chimie in 8° 2 vol., Didot Frères, Paris,
1866-1869.
Mise en œuvre.
La traduction doit être faite sur le texte original allemand, appuyée et
éclairée par les traductions latines ses contemporaines, enrichie de
tous les renseignements qu'on pourra tirer des confrontations de textes,
des dictionnaires paracelsiques, des interprétations qui ont été données
par d'éminents paracelsistes, etc. Ce lourd travail critique étant
facilité par les travaux des devanciers. Cette traduction doit être
faite dans un esprit philosophique par un esprit synthétique, entouré du
conseil des spécialistes des différentes questions.
Moyens.
Le traducteur doit avoir à sa disposition (outre la
possibilité de recourir aux éditions particulières) : l'édition Huser
(allemand ancien), 1589‑1591 - l'édition Sudhoff (allemand ancien),
1923‑1933 - l'édition Aschner (allemand moderne), 1926‑1932 - l'édition
de Tournes, 1658 - l'édition de Palthenius, 1603.
Délais.
Un travail de cette sorte, ne devant pas comporter
moins de 32 volumes réalisés (ce qui implique, outre le travail de
traduction lui‑même, un énorme travail d'érudition, de recherche, de
comparaison et d'enquête – dont une bonne partie est faite, il est
vrai), on ne peut guère fixer de délais : ceux demandés pour
l'élaboration des premiers volumes devant se trouver raccourcis au fur
et à mesure qu'avancera le travail, la parution pourra se faire avec une
accélération constante.
Présentation.
Une étude personnelle du traducteur sur Paracelse, sa
vie, sa personne, ses œuvres, accompagnera l'édition des
Œuvres Complètes, apportant à la fois un éclaircissement historique et
une synthèse philosophique de cet énorme sujet (avec une bibliographie
complète). Chaque volume comportera un portrait de Paracelse et la
publication de documents s'y rapportant.
Ordre de publication.
On peut prévoir, d'ores et déjà, l'ordre de publication
comme suit : les deux premiers volumes ayant été traduits par Grillot de
Givry ne devant paraître qu'à la fin, à moins qu'un accord ne puisse se
faire avec l'éditeur, permettant leur réutilisation. |